Il neigeait. En cette période de l'année c'était relativement normal. Il faisait froid, l'Angleterre était connue pour ça, et au bord de la mer c'était encore pire car le climat était humide. Mais pour l'Anglaise bien habituée rien d'insurmontable. Eliza avait chaussé des bottes cavalières, portait une jupe et des collants épais sans parler du reste de l'attirail d'hiver : pull, manteau, écharpe, gants et bonnet. Elle était en pause déjeuné mais en cette période de fête il n'y avait pas beaucoup de travail de toute façon. Alors à la différence de d'habitude où elle mangeait au bureau elle était sortie manger dans un pub en ville. Je prenant pas la voiture ni les transports elle était partie à pied.

Diane était avec son père elle n'avait donc pas besoin de s'en faire ni de prendre des nouvelles auprès de la nourrice comme elle avait l'habitude de le faire quand c'était elle qui l'a gardait. Ce n'est pas qu'elle n'avait pas confiance c'est qu'elle avait un besoin de contrôle sur au moins un point de sa vie en plus de son travail. Le problème c'est que sa fille n'était pas contrôlable comme elle l'aurait voulu mais les choses étaient ainsi elle ne pouvait rien y faire.

Elle demanda une table et on la plaça près de la fenêtre. Il n'y avait pas grand monde, en période de fête les pubs où se rejoignaient les amis étaient un peu désertés le midi mais tant mieux.
Eliza se surprit à détailler les gens qui étaient là, à regarder dehors et oublier un peu le reste de sa journée. La solitude dans la journée ne la dérangeait pas, c'était plus pesant le soir déjà.

Quelqu'un passa la porte, comme elle était désœuvrée après passage de sa commande auprès du serveur elle posa les yeux sur le nouvel arrivant. Quelques secondes plus tard ses neurones c'étaient mis en marche et elle l'avait reconnu. La dernière personne qu'elle s'attendait à croiser maintenant et ici. C'était étrange. Elle ne se manifesta pas, elle était estomaquée sans doute ni avait il pas d'autre mot. Elle fut prise d'une boule au ventre et d'une envie de partir sans manger. Sauf que le serveur revint à ce moment là avec sa salade et elle était bloquée. La remarquerait il ? Il n'y avait qu'une autre table sans doute que ses yeux tomberait sur elle. Peut être qu'il ne l'a reconnaîtrait pas ?

- remember all the things we wanted -
we were always meant to say goodbye
@sleepingatlast
Journée de repos, ou presque. Même quand il ne travaille pas, il trouve toujours un moyen de finir à l'hôpital – pour venir donner un avis, dans le cas de ce matin. Midi aligne les aiguilles sur sa montre alors qu'il déambule dans les rues de Brighton. Pas envie de rentrer chez lui. Pas envie de se retrouver face à son étouffante solitude, une fois de plus. Il s'attarde, se perd entre les rues et ruelles, jusqu'à ce que la faim le trouve. Elle guide ses pas jusqu'à un petit pub où il s'est déjà égaré quelques fois par le passé. Pour le coup, il ne s'agit pas de boire à s'en rendre saoul pour oublier tout le reste, non. Juste attraper de quoi manger pour tuer un peu le temps, voir la journée avancer et le rapprocher de ce moment précis où il pourra rentrer chez lui et dormir. Une autre boucle de bouclée, un autre jour pourra commencer et il ne sera pas plus palpitant que le précédent. Peut-être qu'il devrait repartir. Prendre la fuite une fois de plus, à l'autre bout du monde. Voyager, dans un pays où personne n'en aura rien à faire de lui. Où personne n'attendra rien de lui. Ça finira par arriver inévitablement ; dans une semaine, un mois, un an. Il finit toujours par craquer, toujours par fuir ce qui ne va pas dans son existence. Quelques politesses d'usage, il finit par demander une table à un employé, qui le guide à travers le pub et l'abandonne à une table libre, lui signalant au passage qu'il reviendra pour prendre sa commande. Bien, et après ? Un soupir lui échappe, à Teddy. Son regard se perd dans le bâtiment, sur les personnes déjà présentes. Puis ses prunelles s'arrêtent sur elle, à la table d'à côté. Elle qui détonne un peu au milieu du décor, parce qu'elle lui dit quelque chose. Qu'elle le ramène un peu trop en arrière. À des souvenirs qu'il a pourtant tenté d'oublier. Il n'est pas vraiment certain que ce soit elle – un peu de temps s'est écoulé depuis, après tout. Mais non, pas assez pour qu'elle en devienne méconnaissable. Il ne se rend pas compte que ce n'est pas très poli, de fixer quelqu'un comme ça. Faut avouer qu'il est perdu dans ses pensées, Teddy. Figé dans des souvenirs d'hier, qui le ramènent à l'autre bout du monde, à une idylle aussi douce qu'éphémère. « Eliza ? » Le prénom qui lui revient comme une évidence. Non, bien sûr que non, il ne s'attendait pas non plus à la revoir ici, comme ça.

Eliza n'était pas du genre lâche. Elle était réellement capable d'affronter des situations difficiles, elle avait un enfant, elle avait affronté sa famille pour la garder et l'élever. Non, elle n'était pas lâche mais elle se protégeait. Du moins c'est ce qu'elle faisait inconsciemment et ce qu'elle se disait quand on lui faisait une remarque. Du fait sa manière de se protéger l'enfermait dans une solitude sans pareille. Elle n'y avait pas vraiment pris goût, elle s'était juste habituée à faire avec les moyens du bord.

Faire avec les moyens du bord ça voulait dire donc évincer les hommes qui auraient pu lui convenir pour ne plus être seule. Elle les repoussait tous, et Teddy en faisait parti. Pourtant ça n'avait pas mal commencé entre eux. En sois elle ne savait rien de lui, et ils n'avaient partagé que peu de temps ensemble. Mais ça avait suffit à Eliza pour de sortir de sa zone de confort et elle avait songé aux possibles envisageables. Elle avait eu peur et elle avait fui. Maintenant qu'il venait de prononcer son nom à haute voix dans ce pub c'était dur de fuir à nouveau. Il était à la table d'à côté et elle ne pouvait pas l'ignorer.

Elle releva les yeux vers lui et tenta un sourire malgré tout."Ça faisait longtemps... Je pensais pas te recroiser un jour. " elle n'avait rien dit de plus que la bête vérité.
Elle se sentait d'avantage bête qu'ils étaient à deux tables séparées mais à côté. "Est ce... Tu attends quelq'un ? Si tu veux on peut manger ensemble ?" c'était maladroit elle en avait conscience mais pour sa défense c'était sincère. Elle avait légèrement rougis, hors du cadre des vacances et avec les souvenirs de leur temps ensemble ça semblait etrange.

Comme quoi le monde est plus petit qu'il n'y paraît. Il ne s'attendait pas à la revoir ici, encore moins aujourd'hui. Pas que Brighton soit si immense, mais en tant de temps, elle aurait pu changer de vie. Partir d'ici. Recommencer ailleurs. Faire ce qu'il n'a jamais eu le courage de faire. Il sourit timidement, la surprise est partagée. Il est même un peu mal à l'aise. Est-ce ainsi que ça va se passer ? Vont-ils simplement parler, faire comme si elle n'avait jamais pris la fuite, à l'autre bout du monde ? Apparemment. Ce n'est peut-être pas plus mal. Il n'a pas vraiment envie de revenir là-dessus – sur cet énième échec à essuyer, dans sa vie sentimentale. Il avait pourtant cru, juste un instant, comme il lui arrive souvent de croire. Mais elle avait coupé court aux rêves et aux espoirs, en prenant un seul billet retour, sans prévenir. Il inspire un peu, revient à l'instant présent et finit par hausser les épaules. « Pourquoi pas, je n'attends personne non. » Il retrouve un semblant de sourire et se lève, venant s'installer en face d'elle. C'est étrange, comme la situation le ramène à des années lumières d'ici. À ce voyage, ce moment où ils n'étaient plus vraiment eux, juste deux inconnus essayant de s'oublier et de se refaire à l'autre bout du monde. Perdu dans ses pensées, il la détaille, comme si c'était encore permis, sans même se rendre compte que ce n'est pas vraiment poli. Qu'importe désormais, pas vrai ? La serveuse vient finalement prendre sa commande, il revient à lui le temps de lui répondre et de donner sa carte. Puis il en revient à elle. À ce mystère dont le prénom laisse encore un goût amer au palais. Eliza. « Alors, qu'est-ce que tu deviens, depuis le temps ? » Faire comme si de rien était. C'est un professionnel en la matière, Teddy. Il contourne aisément les problèmes, les sujets qui fâchent, pour éviter d'avoir mal. « Fini les voyages, tu as décidé de rester à Brighton ? » Combler le vide par des paroles, comme pour faire taire ce malaise qui grandit en lui.