Besoin de te défouler. Parfois, tu te demandes si tu ne devrais pas t’inscrire dans un club de boxe, ça t’aiderait peut-être à canaliser cette colère qui gronde en permanence en toi. Tu te le dis, mais tu ne le fais pas. Tu te contentes d’enfiler un t-shirt, un bas de jogging, des baskets et d’aller courir un peu, au hasard. Un casque sur les oreilles, tu t’évades en musique, au rythme de tes pas, qui te guident dans l’est de la ville. Tu aimes bien changer de lieu, rester coincer à l’ouest t’ennuie rapidement. Tu as toujours eu la bougeotte, depuis tout gamin, et plus encore depuis que tu as quitté ton quartier de Chicago quand tu avais quinze ans. C’est un exploit que tu sois encore là, à Brighton, autant de mois après ton arrivée. Tu restes rarement plus de trois ou quatre mois au même endroit, six tout au plus. Et là… Et là, t’en ai venu à te prendre un appart, toi, pour la première fois de ta vie, tu as un lieu d’attache quelque part. Tu as une attache ici, quelqu’un qui t’empêche de partir. Pourtant, personne n’a jamais su te retenir jusque-là. Et le pire dans tout ça, c’est qu’elle n’en a même pas conscience. Ça te bouffe, ça ne te plait pas. Tu pourrais te barrer, comme tu le fais toujours, mais non, t’es là, tu restes, tu fais des projets, tu te hais.

Plus tu enchaines les foulées, plus tu ressasses et rumines tout cela. Pourquoi tu restes ? Pourquoi ta relation avec Tori t’enchaine à Brighton, toi l’indépendant ? Tu finis par revenir sur Terre, rangeant tes pensées dans un coin de ton esprit. Mais tu te rends compte que t’es dans un coin de Brighton que tu ne connais pas vraiment. C’est grand, mine de rien, et tu n’en as pas encore exploré tous les recoins. Ça t’apprendra à courir sans but et sans faire attention où tu vas. Tu aperçois une épicerie. Parfait, tu vas pouvoir demander ton chemin pour retourner vers l’ouest comme ça. Mais avant ça, tu en profites pour acheter deux, trois bricoles qui te manquent à l’appartement, comme de la bière. Tu te baisses pour prendre la marque la moins chère qui se trouve sur le rayon du bas, mais au moment de te redresser, un sac te percute, de surprise, tu en lâche le pack que tu venais de prendre. « Shit ! » Le verre s’éclate en un bruit assourdissant sous l’impact avec le sol. Et toi, qui était déjà énervé par tes pensées et par le fait de t’être paumé en route, ce petit accrochage ne va pas t’aider à te calmer. « I’m OK. Pay attention next time. » Tu lui réponds un peu sèchement, mais le rire du caissier t’empêche de réagir avec violence. Lui aussi il t’énerve d’un côté, toi ça ne te fait pas rire. Surtout si t’es obligé de payer les bouteilles cassées, parce que c’est toi qui les tenaient en main à ce moment-là et que t’as pas été fichu de les retenir. En réalité, ce serait arrivé à un autre moment, t’en aurait probablement rien eu à carrer et t’aurais pas répondu de cette façon. T’aurais plutôt rit avec le caissier. Mais là, t’es sur les nerfs, et ça se voit. A voir, si tu vas être capable de te calmer ou pas maintenant.