- on fire -
eli golstein et cat bentham
Le vieux pub n’avait pas changé depuis qu’elle était gosse, elle se souvient que son grand père l’avait emmené une ou deux fois dedans, sans que ses parents le sachent. C’était pour regarder un match ou pour parler de sujet politiques qu’elle ne comprend toujours pas. Le vieux bar en bois était usé par le glissement de verres dessus, mais même si le lieu puait le renfermé, l’alcool à plein nez, il avait ce charme qui séduisait constamment la jeune poupée, comme la surnommé le vieux patron. Pas un lieu pour une demoiselle, une jeunette comme Cat, mais que ce qu’elle s’en fichait bien, elle prenait place comme depuis le soir de ses vingt-et-un ans sur le même siège au bar et commandait toujours sa Guinness. Aujourd’hui n’était pas exception à la règle, elle grimpa, le gnome, sur son tabouret fait signe au patron qui lui tira aussitôt sa bière. Elle regardait autour d’elle et son regard se posa sur le jeune homme, certes bien plus âgé qu’elle mais dans la fleur de l’âge, assis à quelques sièges d’elle. Sa tête se pencha, ses boucles brunes glissèrent lentement sur un côté de sa tête lui donnant un air de gamine malicieuse et de femme charmeuse. – Le bar va pas changer en quelque chose de merveilleux, même avec un tel regard de chien battu tu sais ? Une de ses mains glissa dans sa chevelure et d’un geste sensuel elle la passa de l’autre côté de sa tête. Le regard luisant de malice, elle ne le détacha pas de l’homme à la carrure avantageuse. De grands bras, puissants, des mains grandes, masculines et de labeur. Bien sûr qu’elle charmait, car elle le faisait en tout temps et avec n’importe qui. Sans réelle volonté pourtant de le faire, c’était sans sa manière d’être. Une fois sa bière posée devant elle, Cat l’attrapa en se laissant glisser du siège. Elle retrouva une place au côté de l’homme et finit par regarder dans la même direction de lui, en se demandant bien ce qu’il pouvait voir sur le mur du bar. Sa vie ? Son avenir ? Cela la dépassait la gamine, qui ne comprenait pas encore tout aux adultes, même si elle prétendait en être une. – Si je peux te donner un conseil ? Elle se pencha vers lui un sourire à la commissure de ses lèvres. – Si personne n’est morte dans ton entourage, genre une mère, une copine ou même ton chien. Un sourire ça ne te ferait pas de mal. Tu verras ça fait un bien fou. Un sourire plus franc, suivi d’un rire cristallin qui résonnait dans tout le bar, dérangeant les habitués qui la dévisagèrent. Un clin d'oeil à l'intéressé alors qu'elle goba entre ses lèvres un biscuit qu'il y avait devant elle dans un petit bol. Elle leva sa main et fit signe au patron. – La même chose pour cette pauvre âme en peine. Elle déposa toute fière sur le comptoir un billet de vingt livres pour le barman.

@eli goldstein

Encore une soirée à boire, le lui aurait-on surement reproché, si l’un de ses proches était tombé sur lui, dans ce vieux pub de quartier. Attablé au bar, une bière presque vide entre les mains, il ruminait de sombres pensées, fidèle à son habitude des dernières semaines, du dernier mois à vrai dire. Plus le temps passait, et plus son humeur se dégradait. Le fameux proverbe avait tout fois : le temps n’arrangeait pas toujours les choses. Au contraire, dans son cas, c’était plutôt le contraire qui se produisait. Le pauvre type célibataire, plaquée par son ex-fiancée infidèle, et qui venait en plus d’être mis à pied de son emploi, autant dire qu’il n’avait pas le profil type du mec heureux. Et son air ne pouvait tromper personne. Même la gamine, installée sur un tabouret non loin de lui, le remarqua. Il jeta un regard de biais en sa direction, avant de le ramener jusqu’à son point d’ancrage du moment : le mur droit devant lui, qu’il n’avait eu de cesse de fixer, alors qu’il se perdait un peu plus dans le chaos de son esprit. Il ne remarqua pas qu’elle s’était rapprochée, mais il sursauta en entendant sa voix à proximité, comme s’il avait passé les dernières minutes dans sa petite boule ennuagée. Son regard lorgna du côté de demoiselle alors qu’elle se risquait à lui donner un conseil, lui laissant clairement comprendre que son air refrogné faisait peine à voir. Elle sourit avant d’éclater d’un rire trop clair, trop bruyant, au point où les accoutumés du bar se retournèrent vers eux. Complice, elle lui fit un petit clin d’œil et il leva les yeux au ciel, sans réaliser que ses lèvres avaient eu l’audace de s’étirer en un léger sourire en coin, à peine perceptible, mais suffisamment visible pour qu’elle puise le voir. Il attrapa sa bière afin d’en boire la dernière gorgée, au même moment où la brunette demandait un nouveau service au barman derrière le bas, déposant sur le comptoir l’argent nécessaire pour couvrir les coûts de son breuvage. Ridicule. – Range ça, je suis capable de payer. – qu’il lui intima, en repoussant le billet vers elle. – Tu devrais garder ton tour de charme pour les gars de ton âge, tu ne crois pas? – Il n’était pas dupe, quand même. Impossible de ne pas remarquer la façon dont elle avait de jouer avec ses cheveux, ou cette façon de pencher délibérément la tête lorsqu’elle s’adressa à lui. Ça le flattait, d’accord, mais cette fille devait à peine avoir l’âge de sa sœur. Voir peut-être moins. Il était loin d’être le type idéal pour elle, surtout dans l’état actuel des choses.

A force de côtoyer ce vieux pub de la ville, elle en avait vu des vieux, des ronchons, des désespérés. Elle se heurtait parfois à des murs, mais ils ne résistaient bien longtemps face à son charme situé entre l’enfant capricieuse et la femme déterminé. Alors oui, Cat flirtait, pas volontairement, rarement comme ça, elle charmait son monde car c’était dans ses veines, probablement à cause de son statut de dernière enfant. Un jeu de cheveux, des yeux qui papillonnaient, elle le faisait plus par automatisme, comme un mécanisme auquel on ne prêtait plus attention, mais qui restait présent, faisait tourner la machine à plein régime. Alors en se heurtant à un mur elle ne vacilla même pas d’une mèche de cheveux, et déposa son regard tranquillement avec malice sur l’homme à la voix rauque et un brin suave. – Et moi je suis capable de payer quelque chose pour tenter d’égayer la journée. Tu vois nous sommes deux personnes compétentes pour quelque chose, que le monde est bien fait. Un clin d’œil plus tard, le billet de la demoiselle fut encaissé et le sourire ne se rida nullement. Elle avait même presque envie de rire de la situation la gamine. – Woh woh, tout doux monsieur le grincheux, j’ai le cafard du siècle. Tu me donnes quel âge ? Son sourire était franc sans faille, sans moquerie, mais plein d’amusement qui laissait échapper un rire de la même teinte. Elle rayonnait le soleil enfant qui se voulait toujours plus grand qu’il n’était. – Si tu me réponds celui où mes parents m’attendent pour le diner, je risque de piquer un phare. Elle attrapa sa consommation, bu une gorgée avant de reposer son regard malicieux sur l’homme courbé par le poids d’une grande peine. Plus elle l’observait, plus elle avait envie de l’aider, car Cat n’était qu’une gamine pleine d’espoir, une gamine qui se prenait pour Marie Thérèse, une sainte avec des super pouvoirs dans son sourire, dans ses yeux pétillants de malice. – Et crois moi, si je voulais chasser de la viande imbibée d’alcool, je ne viendrais pas dans ce bar. Son visage rayonnait d’amusement. On pouvait presque entendre encore son rire, alors qu’elle ne riait pas. On pouvait son sourire alors qu’elle arborait un visage heureux, ou amusé sans qu’il soit franc et assumé. Elle rayonnait tout simplement Cat, elle laissait son aura brûlante toucher ceux qui l’entourait. – Comme je te l’ai déjà dit. Si personne n’est mort, souris. Ça te réussit plutôt joliment. D’autant plus qu’il me semble que tu sais le faire merveilleusement. Bien sûr qu’elle l’avait vu, cette ombre passer comme un mirage, un rêve. Pourtant, c’était réel, il lui avait presque souris et elle ne l’avait pas inventé. Maintenant sur sa lancée, elle n’avait plus de raison de pas se retenir le fond de sa pensée. Enfin, même en temps normal, elle ne retenait jamais de dire ce qu’elle pensait à qui que ce soit. – Sache une chose. On peut être gentil sans arrière-pensée dans la vie. Avoir juste l’envie de faire sourire sans pour autant désirer quoi que ce soit de l’autre. C’est humain, ça s’appelle l’altruisme et même si ça semble mort en ce siècle, certaines personnes, comme moi, le pratique encore. Au risque de se heurter à des mecs de ton genre qui semblent vivre avec tous les problèmes du monde. Le barman déposa alors une pinte devant le jeune homme, Cat en profita pour faire une pause, pour laisser mûrir ses propos d’adulte. Trop vieux pour sortir de la bouche d’une gamine comme elle. Cela surprenait toujours, cette manière de parler si mature, cette façon de penser d’une adulte trentenaire. Avancée sur son âge était un euphémisme pour parler de Cat. Elle bu encore une gorgée et reposa à un regard en coin avec cet innocent qui lui était propre, car elle était une innocente naïve à croire qu’elle était la mécano des cœurs brisés. – Les solutions ne se trouvent pas au fond de ta pinte, monsieur le grincheux. Mais… l’une d’entre elle peut se trouve dans une danse, sans arrière-pensée avec une jolie fille. Elle sauta sur ses pieds, confiante la gamine. Persuadée de faire bouger ce vieux bougre qui avait l’aimabilité d’un orang outan levée du pied gauche (elle sait de quoi elle parle avec une visite privée dans un zoo section primates, quand son rêve était comportementaliste de primates). Elle lui tendit une main franche, dénuée de retenue ou de peur.

Il ignorait pourquoi cette gamine s’acharnait à ses côtés alors qu’il n’était clairement pas de bonne compagnie, ce soir-là. N’importe qui l’aurait rapidement compris, mais elle, elle s’entêtait, et bien que ça exaspérait Eli au plus haut point, sa présence avait quelque chose de rafraichissant. Seul véritable ombre au tableau, cependant : elle parlait beaucoup trop. Tellement qu’il en avait presque le tournis, à force de l’entendre. De bonne guerre, il la laissa débourser de son argent pour lui payer à boire. Il n’avait pas envie de s’obstiner pour quelques dollars gaspiller à son égard. Elle s’offusqua de son commentaire sur son âge, et il leva les yeux au ciel, découragé. – Vingt, vingt-et-un ans, pas plus. – fit-il en répondant à son interrogation, haussant les épaules, prouvant à quel point, en vérité, ça l’importait peu. Elle semblait à peine sortie de l’adolescence, à peine une adulte, en vérité. Il était trop vieux pour elle, cette évidence même lui frappait aux yeux, plus encore alors qu’il l’observait avec une certaine curiosité. Détournant finalement le regard, il récupéra sa bière pour en prendre quelques gorgées, alors que la jeune fille continuait de discuter pour deux, insistant à nouveau pour qu’il change de tête, ne serait-ce qu’un instant. Qu’il sourit, rien qu’un peu. Elle semblait faire ça par simple bonté de cœur, se qualifiant d’altruiste, visiblement prête à voguer contre vent et marée pour atteindre le but qu’elle s’était fixé. Et ce soir-là, c’est sur lui qu’elle s’attardait, par le plus grand des hasards. Elle n’avait pas entièrement tort, cette gamine, mais Eli refusait de lui donner raison, ne serait-ce qu’à cause de son orgueil mal placé. Il trouvait même très ironique de se faire faire la morale par une fille de son âge. Il aurait cru, pendant un instant, entendre sa mère lui dire de se reprendre en main et d’arrêter de maudire la terre entière pour ce qui se passait dans sa vie. Plutôt que de parler, il se contenta de retremper ses lèvres dans le liquide ombré afin de justifier son silence. Ce qui n’empêcha pas la demoiselle de reprendre la parole, et passant du geste à la parole, elle lui tendit la main afin qu’il l’accompagne sur la piste de danse. Main qu’il toisa un long moment, sans rien dire, avant d’à nouveau pousser un nouveau soupir. Il aurait pu se retourner et l’ignorer, sauf qu’il se doutait bien que cette infernale brunette ne lâcherait pas le morceau pour autant, au risque de le trainer de force avec elle. Déposant sa bouteille sur le comptoir, il se leva du cabaret sans toutefois prendre la main de la jeune fille, prenant les devants jusqu’où se mouvait déjà quelques danseurs. À mi-chemin, il se tourna néanmoins vers elle. – Je ne fais pas ça pour te faire plaisir. J’aime danser, et ça me changera les idées, c’est tout. – lui annonça-t-il, mettant carte sur table afin qu’elle n’aille rien s’imaginer de plus. Et qu’elle ne pense pas, non plus, être venu à bout du grincheux qui sommeillait en lui.