La journée a pourtant bien commencé – un peu trop bien apparemment. Il faut toujours qu'on se mette en travers de son chemin. Il y a ce jeune interne qui lui tape sur le système depuis un petit moment déjà. Le genre de monsieur-je-sais-tout à qui il voudrait faire avaler du verre pilé. Il ne dit rien Teddy, il se contente de se mordre les joues, d'attendre que ça passe. Puis sa langue fourche et il se trompe dans un mot – faut pas lui en vouloir vous comprenez, il n'est pas vraiment concentré, en ce moment. Les tracas et les gros maux qui s'accumulent, qui le tiennent éveillé la nuit. L'interne pense que c'est le bon moment pour briller ; reprendre un titulaire, c'est quand même la grande classe. Mais c'est certainement pas le bon jour. Walsh, il demande à le voir à part, pour discuter. Le ton monte et l'air suffisant de l'autre donne envie au chirurgien de lui refaire le sourire à coup de bistouri. Mais il n'a rien à part ses mains sur lui et dans un instant de folie, il se dit que c'est suffisant. Un mot de trop, une autre syllabe assassine ; ça suffit. Le coup part et à ce moment là, Teddy sait déjà que c'est une erreur. Mais c'est trop tard. Les voilà qui se battent dans la petite salle de stocks. Un infirmier passe par-là, affolé par le bruit et bientôt, c'est toute une masse qui débarque dans les vingt mètres carrés. Walsh, il cligne des yeux. Il ne comprend pas, ne sait même plus pourquoi il en est venu à une telle extrémité. Tout ce qu'il sait, c'est qu'il a le nez qui pisse l'hémoglobine et l'arcade gauche qui tourne au violet. « Vous deux, dans mon bureau. » Annonce une voix dure. Celle du chef de service.

Quarante-sept minutes et une poche de glace plus tard. Le voilà qui traîne son corps fatigué sur les pavés des urgences direction la sortie. Le verdict est tombé, il doit rentrer chez lui pour la journée. Réfléchir à ses actes et revenir demain pour présenter et recevoir des excuses. Il renifle un peu, traverse le service des urgences pour rejoindre les vestiaires. Mais il s'arrête, dans sa course folle. Il s'arrête quand une tête blonde happe son regard. « Joanne Barnes, pincez-moi, je rêve. » L'ironie qui roule sur sa langue. Il n'a pas envie d'être spécialement aimable, mais il n'a aucune raison d'être méchant avec elle. Elle n'y est pour rien dans ce qui s'est passé, après tout. Il pourrait passer son chemin mais il n'en fait rien. Même si elle ne le porte pas dans son cœur, lui, il la considère comme de la famille. Cette famille qui passe avant tout le reste, chez les Walsh. « J'ai presque failli ne pas te reconnaître. » Un petit rire remonte le long de sa gorge, légèrement moqueur. Une fois de plus ce n'est pas méchant. Juste taquin, comme toujours, avec lui. Il jette un coup d’œil aux alentours, il sait qu'il devrait partir, mais il sait aussi qu'elle va attendre des heures, si elle reste là. « Tu veux que je jette un coup d'oeil ? » Qu'il demande en toute sincérité, prêt à rendre un service dont elle ne veut peut-être même pas.