- the faces that tore me keep guarding my way
what happened to us? torn from the moment of weeping in dust -

Cara avait retourné l'entièreté de son appartement trois fois et fouillé les moindres recoins de chacune des pièces qui constituait son humble logement sur Brighton East Side. Elle avait même défait avec douleur et amertume les cartons contenant les objets qui devaient décorer la future nurserie et qu'elle ne pouvait se résoudre à jeter... mais il était impossible de mettre la main dessus. Elle avait tout bonnement perdu le médaillon de sa grand-mère qu'elle avait prévu d'offrir à sa nièce Mia à l'occasion de ses sept ans. Un bijou de famille inestimable que les femmes Shreve se passait de génération en génération comme un talisman protecteur. La grande soeur de Cara, Jane, le lui avait elle-même donné de force prétextant qu'il lui servirait bien plus et qu'elle l'aurait de toute façon perdue lors d'un de ses innombrables voyages si elle ne l'acceptait pas. Perdu ? Un éclair lui traversa soudain l'esprit. Le pub. Plus précisément, l'arrière-boutique du pub où ils avaient l'habitude de traiter les corvées administratives et ranger tout leur petit bazar. Le médaillon ne pouvait être que là-bas. La jeune femme batailla intérieurement pour savoir si le médaillon valait vraiment la peine de faire ça : retourner sur ce lieu devenu comme hanté par les fantômes de son ancienne vie. De longues heures passèrent avant qu'elle ne se décide, c'était comme si une force mystérieuse avait choisi pour elle.  (...) Elle se tenait là, devant le pub qu'elle avait tant aimé, chéri, là où elle avait passé de longues soirées, à l'époque où elle et lui étaient heureux, amoureux, prêts à affronter le monde et tout ce qui pouvait se mettre en travers de leur chemin. Les tournées générales que l'on offre aux habitués devenus véritables amis, les matchs de foot qui tournent au pugilat lorsque l'équipe favorite est battue, les chansons que l'on chante à tue-tête, si fort que l'on réveille presque tout le quartier. Une douleur foudroyante éclata dans sa poitrine, comme un couteau en plein cœur, quand elle se remémora tous ses souvenirs rangés dans un coin bien caché de sa mémoire par le jeu des événements. Ses yeux bleu océan s'attardèrent sur les moindres détails qui constituaient la devanture du petit pub devenu véritable institution du quartier : le petit graffiti sur la porte qu'ils avaient tenté d'effacer en vain, le trou dans le mur près de la fenêtre là où des sales mômes avaient balancé une brique pour s'amuser, les affiches de concert encore à moitié collées que la pluie avait rendu pour la plupart illisibles... Autant de détails qui faisait l'âme et le charme de l'endroit. Mais la blonde ne pouvait plus y mettre à pied, elle se refusait même à marcher dans cette rue et choisissait toujours soigneusement son itinéraire pour en rester éloignée mais elle était là aujourd'hui, c'était réel. Elle hésita à se retourner et faire demi-tour lorsque la porte du pub s'ouvrit brusquement. Trop tard pour reculer.

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Les clients avaient afflués et même si l’heure n’était pas très avancée, une petite foule s’était déjà réunie pour ce qu’ils appelaient les festivités d’avant-match, ce qui était devenu chose commune avant tout match de foot. C’était bien souvent le même groupe de clients qui se pointait quelques heures avant le match, qui venait prendre une bière ou quatre, histoire d’être bien dans l’ambiance et dans le bon état d’esprit pour engueuler les arbitres qui ne feraient pas leur boulot. Les conversations allaient de bon train, l’humeur générale était bonne, mais la plupart des clients se turent lorsque la porte s’ouvrit, dévoilant une silhouette que tous, sans doute, n’auraient pas pensé revoir ici. Regardez qui est là. Lança l’un des clients réguliers, un de ceux que Lyle était venu à considérer comme un ami depuis le temps. Une revenante. Lyle tourna les talons après que le verre qu’il devait servir soit rempli et si son collègue n’avait pas été à l’affut, le tout aurait bien pu se terminer en catastrophe puisque le verre lui glissa des mains. Pendant une fraction de seconde, c’était comme s’il avait perdu toute sensation dans son corps, comme si ses jambes allaient défaillir. Il posa une main sur le bar pour s’assurer de garder son équilibre et ferma les yeux quelques secondes, se disant que c’était sans doute son esprit qui lui jouait des tours, comme il l’avait fait plusieurs fois au cours des derniers mois. Cara. Il avait l’impression qu’elle le fuyait, comprenait difficilement comment ils avaient réussis à ne pas se croiser depuis cette fameuse soirée. Peut-être qu’il l’évitait, lui aussi. Sans doute qu’il avait sa part du blâme à porter. Ça va? S’enquit James, les sourcils froncés, visiblement inquiet de l’état de son ami. Lyle ouvrit les yeux à nouveau et hocha la tête. Faux, ça n’allait pas, mais alors pas du tout. Il avait l’impression que le temps s’écoulait à une lenteur phénoménale. Les paumes de ses mains étaient devenues moites en une fraction de seconde. Il ne savait même pas s’il serait capable de faire un pas vers elle quand bien même il le voulait. Comme si son corps tout entier était entré en état de choc en l’apercevant dans le cadre de la porte. Qu’est-ce que t’attends? Demanda James en donnant un léger coup de coude à Lyle pour qu’il bouge, qu’il fasse quelque chose d’autre que rester là à fixer ce qu’il croyait être un fantôme. Va la voir. Il avait peur, l’anglais. Peur qu’elle ne disparaisse  s’il s’en approchait trop. Et pourtant, il trouva un semblant de courage et se dirigea vers elle, tentant de trouver une phrase appropriée à lui dire pour la saluer. Qu’est-ce que tu fais ici? La question n’était pas emplie de reproche, il s’agissait plutôt là de surprise. S’il y avait bien un endroit ou il ne croyait pas la croiser, c’était bien ici, dans ce lieu chargé d’émotions, de souvenirs et pourtant, c'était comme une évidence qu'ils se retrouvent ici.

Sans réfléchir, elle poussa la porte du pub mais regretta aussitôt son geste lorsque le brouhaha ambiant lui parvint aux oreilles. Soir de match, évidemment. Comment avait-elle pu oublier ? Combien de soirées avait-elle passé ici, dans ce lieu gorgé des vestiges d'une époque révolue, à trinquer, danser, chanter, rire à en pleurer ? Tout le quartier y avait ses habitudes, venait discuter de la pluie et du beau temps autour d'une bonne bière, passait même juste en coup de vent pour leur dire bonjour, pour savoir comment la grossesse se passait, pour savoir s'ils avaient (enfin) fixé une date à leur mariage... C'était comme si ses souvenirs appartenaient à une toute autre personne, comme s'ils faisaient partie d'une vie antérieure, d'un rêve dont elle avait fini par se réveiller. Tout n'était que douleur alors même que c'était là les moments les plus heureux, les plus précieux qu'elle ait pu vivre. C'était Cara et Lyle, Lyle et Cara, indissociables. Envers et contre tout. Et puis un jour, plus rien. Elle avait disparue, laissant derrière elle seulement quelques traces indiquant qu'elle ait un jour occupée ses quatre murs comme sa deuxième maison. Un tableau choisi par ses soins pour égayer la pièce, quelques polaroids accrochés près du bar, un sticker drôle sur la caisse enregistreuse qu'elle avait crû bon coller… Tout était encore là, comme dans ses souvenirs. D'un coup, le silence s'abattit dans l'assemblée, troublée seulement par le son de la télévision accrochée sur l'un des murs. Les yeux se tournèrent vers elle à l'unisson, des visages autrefois connus, des amis dans les bras desquels elle aurait pu se jeter s'il n'y avait pas eu cette distance, ce rempart invisible entre elle et eux. Entre l'avant et l'aujourd'hui. Une revenante. Les chuchotements s'élevèrent, accompagnés  de regards interloqués, surpris, réprobateurs ? Elle ne saurait dire. Et elle n'eut pas le temps d'analyser toute cette soudaine agitation car bientôt, c'est sur son visage que son regard finit par se poser. Lyle. Elle se figea comme frappée par la foudre. Une foudre qui semblait avoir fait deux victimes car il avait l'air tout aussi déboussolé que la Shreve. Il lâcha le verre qu'il tenait à la main, cligna des yeux plusieurs fois et secoua la tête comme pour s'assurer qu'il ne rêvait pas. Il lui sembla qu'une éternité se soit passée avant que leur léthargie ne prenne fin et que Lyle ne se décide çfaire le premier pas. La voix du brun était comme une douce musique à ses oreilles mais également comme mille poignards dans le cœur. "Je... j'ai..." Elle ne sut comment commencer, les mots se coincèrent dans sa gorge aussitôt prononcés. Son pouls s'accéléra, sa vision devint trouble. Crise de panique. Elle serra un peu plus fort son sac contre sa poitrine pour calmer les battements de son  palpitant. Elle ne voyait plus que lui et personne d'autre dans le pub. "Je repasserai, désolée." Elle fit un pas en arrière, trébucha contre le bois de la porte qui était restée entrouverte, sentit ses jambes la lâcher. La dernière chose qu'elle vit fut le visage de celui qu'elle avait tant aimé. Et puis plus rien, le noir.