C’est la tempête, dans ta tête, Nana. Un putain de Blizzard, qui t’aveugle, t’empêche d’avancer. Tu fais comme, tu bluffes, t’as l’habitude maintenant, c’est facile, de sourire, même quand ça ne va pas. Tu sors avec Sacha parce qu’elle a besoin de soutient, tu bois un verre avec Terri, t’héberges Ryan, et tu souris, tout le temps, continuellement. Parce que c’est tellement plus facile. Plus facile que dire ça ne va pas, ça va vraiment pas. Tu ne veux pas qu’ils s’inquiètent, qu’ils soient tristes. Ce n’est pas ton rôle, Nana, toi, t’es là pour faire sourire les autres, et c’est tout, c’est ton rôle. Mais aujourd’hui, ce soir, là, tu n’as pas envie de sourire, ou de rire, ou de faire semblant. Non, tu n’as pas envie, Nana, parce que tu l’as vu, elle, parce que tu lui as parlé, à elle. A Côme, cette salope. A Côme, cette pauvre meuf. Elle t’a mis en colère, Côme, c’est monté crescendo t’en pouvais plus, de son air de geignarde, de ses pauvres petits malheurs à deux balles. Elle pense qu’elle te comprend, mais elle n’a aucune idée, de ce qu’il t’arrive, elle n’a aucune idée, Côme, elle sait juste se plaindre. Tu la détestes. Et t’as failli la frapper. Ce n’est pas passé loin, Nana, t’es partie, in extrémis, et t’as marché, marché, marché. Pendant des heures, sans vraiment de but. Juste pour te vider la tête. T’as fini sur la jetée. Près de la fête foraine, près du stand, près de lui. Evidemment, t’es venue, c’était si naturelle. T’avais besoin de le voir, peut-être, parce qu’il n’y a que lui, qui puisse de comprendre. Parce qu’il n’y a que lui, qui sait ce que tu traverses. Mais tu n’es pas allée à lui, non, pas tout de suite. T’avais besoin d’être seule, face à la mer, seule, face à ton cœur. Tu t’es assise, au bout, tout au bout de la jetée. Les pieds dans le vide, funambule sur le fil de la vie. Funambule qui perd l’équilibre, qui menace de tomber, à tout instant. Et puis, y’a une main, qui se temps, qui rattrape le pantin, qui le stabilise, qui l’empêche de chuter. Cal. Tu souris, quand il s’installe près de toi. Tu n’as même pas besoin de le voir pour savoir. Ça ne pourrait être personne d’autre. Il te tend le p’tit sac plastique, et tu souris, y’a pas grands choses, dedans, mais c’est suffisant, tu n’es pas trop bonbons. Sauf ceux-là, sauf ceux-là. Tu laisses fondre le premier sur ta langue. Gout cerise. Ce n’est pas ton préféré, non, toi, tu aimes la pêche, et tu le gardes pour la fin, toujours, pour la fin. Le bonbon met 2min et 30 seconde à fondre, tu le sais, depuis le temps. Il le sait lui aussi. Alors tu ne parles pas, pendant 2min et 30 secondes. Y’a le vent qui souffle, s’engouffre dans tes cheveux, et le bruit de la mer, qui fait échos à ton cœur. T’as encore le gout sucré de la cerise sur les lèvres, le gout amer de la colère, dans la bouche. « J’ai encore failli frapper quelqu’un, c’était pas loin, cette fois. » tu ne le regardes pas, tu sais déjà à quoi il ressemble. Non ,tu regardes la mer, le soleil qui disparait complètement, et les vagues.

Tu as l’impression d’être en colère, tout le temps, Nana, de ne plus pouvoir te contrôler, comme s’il y avait un bouton, dans ta tête, bloquer en mode ON, que tu ne pouvais plus l’éteindre. C’est à cause de la maladie, qu’ils répètent les médecins, c’est le deuil, tu dois encore être bloquée dans la colère, Nana, et t’as l’impression que ça durera à jamais. Tu devrais peut-être disparaitre, de la vie des gens que tu aimes. T’as peur de dérailler, de les blesser, physiquement ou mentalement. Et ça, y’a que Cal, qui puisse le comprendre. Y’a qu’à lui, que tu peux tout dire, sans honte. Pourquoi ? tu sais pas, c’est comme ça ; Parce qu’il est comme toi, surement. Parce qu’il n’est proche de toi, parce qu’il ne te juge pas, parce qu’il parle peu, parce qu’il est reposant. Tant de réponses incertaines. Mais sa présence, elle te fait du bien, elle te calme, presque. La preuve, il est là, près de toi, et tu n’entends plus le tonnerre de ton cœur, juste le bruit des vagues. C’est reposant, Nana. Tu bats des jambes, dans le vite, comme si tu voulais t’enfuir, loin, très loin, sur une étoile, peut-être. Et enfin, tu te tournes vers lui, tu croises son regard, tu souris. « Je sais, mais j’ai l’impression de perdre le contrôle, comme si ce n’était pas moi, qui disait toute ses choses, qui frappaient, qui en voulaient à tout le monde, tout le temps. » tu soupires, attrape un autre bonbon, un mou dont tu n’as toujours pas déterminé le gout, mais qui passe bien, après la cerise. Tu mâche un instant, tu arrêtes, essaies de décoller le bonbon de tes dents, et puis tu avales. « J’ai l’impression que tout le monde est contre moi, je deviens paranoïaque, je n’ai plus confiance en personne, j’me perds, ça me fait peur. Je crois que je marche plus droit. » y’a qu’à lui, que tu peux dire ça, y’a que lui, qui comprends le sens de chacun de tes mots. « La sérénité ? comme un ciel noir, sans nuage ? comme une mère sans vague ? Kamil, il voulait la sérénité. Aussi. » tout revient toujours à lui, à ton frère, mort à cause d’eux, à cause de toi. Il te manque tellement, tu t’en veux tellement. « La sérénité, c’est la mort, tu crois ? Tu crois qu’au fond, j’veux mourir, aussi ? »

T’as l’impression qu’en faisant toujours 150 milles choses, en ne cessant jamais de t’activer, de parler, de vivre, t’en oublieras ton cœur malmené, la rage qui bouffe tes entrailles, les doutes qui grignotent ton cœur, la folie qui s’empare de ton âme. T’espère qu’en souriant toujours, tu feras fuir les fantômes du passé. Celui de maman, celui de papa, celui de Kamil, et celui de la petite Nana, qui a perdu son innocence à cause de papa. T’essaies d’être forte, Nana, et tu joues drôlement bien la comédie, faut dire. Mais c’est ça, c’est juste une putain de comédie. Y’a que lui, qui sait. Y’a que lui, qui s’en ai rendu compte. Qui voit ce que tu caches, derrière ton cœur. Qui voit les fantômes dans tes yeux, les cadavres, dans tes placards. Et pourtant, il ne te fuit pas. Il t’accepte, comme tu es. C’est pour ça, qu’avec lui, tu es bien. Il n’y a plus de masque, plus de tabou, juste vos deux âmes, à vif. Juste vous, vos doutes, vos craintes et votre colère. Cal, il est comme toi. Cal, il a la rage au ventre et le cœur au bord des lèvres. Cal, c’est un malmené, un brisé, un fantôme disloqué. Cal, il est tout ce que tu es. Tu le regardes, et puis, lui aussi, et tu souris, comme si tout rentrait dans l’ordre, comme si tout allait bien. Son regard, son sourire, sa présence. Ça te fait du bien, Nana. Vraiment. Tu n’aurais jamais cru que mentir puisse être si fatiguant, Nana. Tu regardes toujours les gens dans les yeux. Tu essaies de les sonder, les comprendre. Ça ne te dérange pas, et tu pourrais rester là, face à lui, pendant des heures, te perdre dans ses yeux couleur tempête des amoureux. Mais tu fermes quand même les tiens, finalement, tu fermes les yeux, bascules la tête en arrière, et les rouvres, finalement, face à face avec les étoiles. Tu parles de ton frère, lui qui s’est changé en étoile, lui qui te regarde, d’en haut, qui sourit, surement, mais qui doit être si triste, en te voyant si faible, Nana. Tu parles de Kamil, et c’est dur, ça te fait mal à la langue, t’as dû mal à déglutir. Tu ne parles jamais de lui, sauf avec Cal, parce que Cal, il comprend, parce que Cal, il sait, ce que ça fait, la douleur, lancinante, toujours présente la perte, et la colère ; Cal, il sait tout ça. La voix de Cal qui brise le silence. Tu comprends, tu comprends que tu as trop loin qu’il est aussi écorché que toi. Alors, tu le regardes, de nouveau. « Pardon. » tu lui dis, et tu souris, un peu, tes yeux, ils lui disent ‘hey, je suis toujours là, je ne pars pas, je reste là’ et ton sourire, il lui dit ‘t’inquiète pas’. Les rôles s’inversent. C’est toujours comme ça, entre vous, toujours. Il regarde le ciel, lui aussi. « Deux chiens, et un gosse. » tu lui dis, en riant. Et puis, t’es sérieuse, de nouveau, au moins un instant. « Sur une échelle de 1 à 10, tu vas comment, aujourd’hui ? » tu lui dis.