Le visage éclairé par le smartphone, je sens mon coeur vaciller en écrivant mon adresse. Je me redresse et me précipite vers le salon que je vois d'un coup dérangé - alors qu'il est juste moins parfaitement structuré qu'habituellement.
Mais ça fait longtemps que je n'ai pas reçu quelqu'un ici.
Mais ça fait longtemps que je ne touche plus à rien.
Parce que chaque partie de cet appartement me rappelle un peu plus son absence. Jo' dans le canapé Jo' et ses lèvres sur le parquet Jo' cambrée le dos sur le comptoir du bar.
Je sens mes mains trembler et les larmes s'engouffrer dans ma gorge sans jamais réussir à atteindre mes deux iris ; c'est comme-si l'arrivée de Mariel chamboulait tout.

Les minutes s'écroulent bien plus vite que les heures passées seule. Je l'imagine déjà passer le pas de la porte et poser ce regard que chacun a toujours eu sur notre appartement. Le genre d'expression faciale qui sous-entend Ben putain ça gagne bien de dessiner des conneries pour les gosses. C'qu'ils ne savent pas, c'est que c'est surtout Jo' qui a longtemps payé le loyer - maintenant, je prends un peu sa place depuis son évaporation.

Je suis à deux doigts de laisser tomber, de l'appeler, de m'excuser et d'aller me coucher. J'ai comme l'impression que pouvoir sentir le parfum d'une autre dans une pièce qui était autrefois notre serait marquer le début de la fin.
Puis j'me souviens,
ces horaires tardifs,
ces nouvelles fragrances provenant de ses habits.

J'me dis que,
c'est elle qui a commencé.
Il est temps pour moi d'avancer.

Alors, lorsque Mariel arrive, Jo' n'est déjà plus qu'une ombre planant au dessus de nous deux, mais que j'aurais vite fait de balayer.
J'ai juste envie de me sentir bien à nouveau, tu pourrais le comprendre toi, Jo, non ? C'est bien ce que tu me demandes égoïstement depuis des mois, non ? Alors pourquoi pas moi ?

- Bonjour... Vous avez été rapide ! Désolée si la proposition était un peu soudaine... Je vous débarrasse de votre manteau ? Je le dis tout en exécutant le geste proposé, avant d'ajouter Par contre, ça va me faire étrange de vouvoyer quelqu'un chez moi. On peut se tutoyer ?

Mariel m'est apparue dans ma vie comme une bouffée d'air ; elle m'a foutu cet oxygène si longtemps oublié dans la gueule, et maintenant, j'en ai perpétuellement besoin. Là où je suffoque avec Jo', je me sens respirer avec la voyante.
Son regard perce des gestes non articulés, ses iris semblent sonder des choses surréalistes. C'est bien ce qu'elle est, Mariel: un tableau. Chaque parcelle de son être est écrasé dans la réalité par le biais de sa silhouette désarticulée. Car Mariel est ainsi: mal coordonnée dans ses mouvements, très certainement car ses pensées vont dans tout les sens.
Mais ça la rend magnifique ; artifice de contresens qui vient foutre le bordel dans cette vie autrefois bien rangée. Mariel, dans cette pièce ordonnée, offre un chaos que je pourrais serrer dans mes bras tant il offre une nouvelle vie à ces lieux.

- Bonsoir, je sais pas trop trop ce que je fais chez vous — chez toi, mais c'est vachement beau. Un verre de vin, donc ?

Un léger sourire morose pend sur mes lèvres lorsqu'elle parle d'un chez moi. Ici est devenu tout sauf un chez moi ; je vois plus ce salon comme une sale cage dont les barreaux seraient les mots silencieux de la solitude.
Mes mains viennent chercher sur le bar une bouteille de vin rouge que j'ouvre promptement avant de sortir deux verres que je rempli presque un peu trop - comme pour sous-entendre que cette nuit se doit d'être oubliée. Je m’assois dans un des sièges face à la mer et fais signe à Mariel de faire de même.

- ... Alors t'as arrêté de regarder ta série juste pour venir ici ? C'était pas trop dur ?

J'essaie de rire mais rien n'y fait, même mon humour est bancal. Rien ici n'est en place, rien ici n'a de logique ; et dans l'absurdité de ma vie, je me surprends à fixer l'océan alors qu'il est noir - plongée dans la nuit, voilà ce que je suis.