Tu viens de recevoir un coup de téléphone de ton ancien patron, inquiet pour Ryan. Toi aussi, tu seras inquiète pour lui, si tu savais qu’il était malade depuis plusieurs semaines, qu’il ne venait plus travailler et qu’il ne donnait aucune explication. Sauf que toi, tu n’as pas l’honneur de savoir ce qu’il se passe dans sa vie en ce moment. Depuis que vous êtes rentrés de vacances, depuis que Sacha est partie terminer ses études à Londres, tu n’as aucune nouvelle de Ryan, et si au début, tu étais blessée, maintenant, tu es en colère. En colère contre ce petit ingrat. Alors, après ce fameux coup de téléphone, tu prends ton sac, ta veste et tu sors, bien décider à aller mettre les points sur les i. Comme tu n’as toujours pas passé le permis -tu n’en as pas les moyens- tu pars à pied, et tu as le temps de ruminer durant tout le trajet. Il croit quoi, celui-là, qu’il peut te laisser de côté, après tout ce qu’il s’est passé ? Tu n’as plus que lui, finalement, et il t’avait promis, de ne pas t’abandonner. Et puis, tu as fait les dernières connexions dans ta tête. Ryan, il t’a offert un magnifique cadeau, il y a deux mois, et il a payé vos vacances. Mais comment fait-il, s’il ne va plus travailler du tout ? Il y a quelque chose qui ne colle pas, et ça t’énerve. Ryan, il déconne, pas seulement avec toi, avec tout le monde. Cette conversation, que vous avez eu le soir où il t’a raconté, pour lui et Côme, elle te hante. Il t’a promis que rien ne changerait, et pourtant, il l’a choisi, elle. Tes vieux démons vont finir par refaire surface, toi qui pensais les avoir laissés à Ibiza…Tu soupires en arrivant devant chez lui, te rendant compte que s’il ne t’avait pas filé l’adresse par sms, un jour, tu ne l’aurais jamais eu puisqu’il ne t’a jamais invité. A croire qu’il s’efforce, comme Sacha, de te faire disparaitre de sa vie. Mais il ne va pas y arriver si facilement, t’es une sangsue, Nana, alors tu sonnes, à sa porte et quand il ouvre, quand tu vois la tête qu’il tire, tu lui dis, cinglante. « Ouais, tu ne vas pas réussir à te débarrasser de moi, désolé, Ward. »

Ces vacances avec Sacha et Nana lui avaient vraiment fait du bien. Il avait eu la sensation de les retrouver, de regoûter à leur adolescence, quand ils étaient encore liés comme les doigts de la main. Et pourtant, quelques semaines à peine plus tard, ils étaient de nouveau éloignés. Sacha était partie à Londres avec Terri, pour de bon. Elle-aussi avait fini par les laisser tomber. Et lui… Lui il avait Côme. Même si leur relation avait encore mal redémarré, il ne voulait pas tout foutre en l’air. Il voulait être là pour elle, lui montrer qu’elle était importante à ses yeux. Il lui avait promis, tout comme il avait promis aussi à Nana que rien ne changerait. Mais il fallait se rendre à l’évidence, il ne pouvait pas se couper en deux. Et puis, il lui avait offert des vacances, il avait bien le droit de lâcher prise lui-aussi. Il était encore en caleçon, assis sur son canapé devant la télévision avec un bol de céréales entre les jambes, quand il entendit frapper à la porte. « Ouais, deux minutes ! » Il se leva, posant le bol sur la table basse et s’empressa d’enfiler un short et un tee-shirt, sans savoir qui se trouvait derrière la porte. Il finit par aller l’ouvrir, au bout de quelques secondes. « Nana ? » Il fronça les sourcils, surpris. Elle aurait pu prévenir. Le studio était complètement en bordel, il ne s’attendait absolument pas à la voir. « Ouais, tu ne vas pas réussir à te débarrasser de moi, désolé, Ward. » Il recula d’un pas, pour la laisser entrer. Il n’allait pas lui parler sur le palier comme à une vulgaire étrangère. « Est-ce que j’oserais te demander de quoi tu parles, encore ? » Il espérait qu’elle n’était pas là pour lui parler de Côme, pour lui poser un ultimatum et lui demander de la quitter. Il n’avait plus envie d’en entendre parler, il préférait se sortir cette guerre froide de l’esprit, même si en réalité elle conditionnait chacune de ses journées. « Tu m’excuseras pour le bordel, mais bon, c’était pas vraiment prévu que tu passes. » Il se dirigea vers le frigo, dans la minuscule pièce qui lui servait de cuisine. « Tu veux boire quelque chose ? J’ai du Coca, de la bière, ou de l’eau. »

C’est facile pour lui, finalement, parce qu’il a Côme. En fait, ça en revient toujours à elle. Elle qui avait Sasha, Maddox et Ryan, elle qui aimait à semer la zizanie dans ta vie, et aujourd’hui, tu en avais marre. Marre de cette salope, marre de ce gros con. Tu mérites mieux, vraiment. Ça fait des semaines que tu essaies de te reconstruire, de t’affirmer, de te prouver que tu vaux la peine d’être aimé, toi aussi. Mais Ryan, il ne t’aide pas, vraiment pas. Et t’as envie de lui foutre ton poing dans la tronche, quand tu sonnes chez lui, tu trépignes, et à peine ouvre-t-il que tu entres, sans même regarder cet appartement que tu découvres pour la première fois. Tu fais les cents pas avant de te planter devant lui, bras croisés. « De quoi je parle ? Tu te fous de ma gueule ? peut être du fait que tu m’évites depuis des semaines, et qu’en plus, tu vas plus bosser. C’est peut-être le bordel, mais bientôt, t’aurais plus d’appartement du tout, Ryan, ou alors, peut être que tu te fais entretenir par ta pute, ça doit être ça, c’est elle qui te demande de ne pas m’envoyer de message, de ne pas m’appeler, de me sortir de ta vie ? Putain merci, Sacha m’abandonne, et maintenant toi, c’est quoi le problème ? Et non je ne veux rien voir putain de bordel de merde ! » Tu grinces des dents en inspirant profondément. Merde, tu commences à trembler, maintenant, toi qui pensais que ces cachets qu’on te faisait avaler par dizaine tout le jour devait te rendre un peu plus normal, c’est impossible, visiblement.

Ryan ne savait pas s’il était vraiment heureux de la voir. A en entendre sa réflexion, et à en lire l’expression sur son visage, elle n’était pas là pour une visite de courtoisie. Elle déboula à l’intérieur de son studio, presque comme une furie. La tension était déjà palpable. Elle allait encore lui faire des reproches, il en était sûr. « De quoi je parle ? Tu te fous de ma gueule ? peut être du fait que tu m’évites depuis des semaines, et qu’en plus, tu vas plus bosser. C’est peut-être le bordel, mais bientôt, t’aurais plus d’appartement du tout, Ryan, ou alors, peut être que tu te fais entretenir par ta pute, ça doit être ça, c’est elle qui te demande de ne pas m’envoyer de message, de ne pas m’appeler, de me sortir de ta vie ? Putain merci, Sacha m’abandonne, et maintenant toi, c’est quoi le problème ? Et non je ne veux rien voir putain de bordel de merde ! » Ryan referma le frigo, laissa sa main appuyée contre la porte quelques instants, tournant le dos à Nana. C’était donc pour ça qu’elle était venue. Pour insulter Côme, pour le traiter lui-aussi comme un moins que rien, pour encore lui reprocher de ne pas être suffisamment bien. Il inspira une bouffée d’air, mâchoire serrée, et se retourna vers Nana. « Tu te prends pour qui, Nana ? » Il lâcha, froidement, sans attendre réellement de réponse de sa part puisqu’il enchaîna aussitôt. « Tu crois que tu peux débarquer chez moi comme ça, et me traiter comme de la merde ? Et putain, je t’interdis de parler de Côme comme ça. » Son regard était noir, plus aucune empathie pour elle, plus de tendresse. Elle allait trop loin. « Et tu sais quoi ? Va te faire foutre. »  Il baissa la voix, adoptant un ton plus calme, même si mots n’en restaient pas moins violents. « J’ai aucun compte à te rendre. Qu’est-ce que ça peut te foutre que j’aille plus bosser ? Ou que Côme me paie des trucs ? T’étais bien contente quand je t’ai offert tes conneries pour la peinture et tes vacances, non ? Là bizarrement t’es pas venue me casser les couilles ! » Il en avait assez de ses crises de jalousie sans queue ni tête. Il avait l’impression de retrouver la Côme d’il y a un an. Et il l’avait quittée, pour ça. « Et toi, qu’est-ce qui t’empêchait de m’envoyer un texto ou de m’appeler ? Putain c’est toujours moi le fautif, c’est dingue ! » Elle lui avait dit ne rien attendre de lui, quand il lui avait dit qu’il avait peur ne pas être à la hauteur. Mais elle avait menti. Elle en attendait trop. Elle voulait qu’il soit à sa disposition, partout, tout le temps, et rien qu’à elle. Et ça, il ne supportait pas. « Si tout le monde te lâche, peut-être que c’est toi le problème » Il lâcha cette phrase sans réfléchir, par pure envie de la blesser, de la piquer là où ça faisait mal comme elle savait si bien le faire.

Tu ne peux pas t’en empêcher, Nana, t’as besoin que ça sorte, que toute cette colère sorte. Tu lui en veux, vraiment, de foutre sa vie en l’air en l’allant pas bosser, de te laisser, seule, alors qu’il avait promis. C’est un putain de lâche, Ryan, c’est exactement le même qu’au lycée, il n’a pas grandi, pas changer, et toi, tu as besoin de quelqu’un sur qui compter, mais ce n’est pas lui, visiblement. Ça n’a jamais été lui, ni Sacha. Qui alors ? Tu ne sais pas, y’a tout qui tourne dans ta tête, tu te mords la joue, pour ne pas le frapper, pour ne pas pleurer. Quand tu finis de parler, de crier plutôt, il enchaine, comme si vous ne saviez pas communiquer autrement. Vous n’êtes vraiment pas fait pour vous entendre, vraisemblablement. Tu ris, amère, quand il défend Côme, évidement. « Ouais, il n’y a qu’elle qui peut parler des autres de cette façon, visiblement. » tu ne comprends pas pourquoi il continue à la défendre après tout ce qu’il s’est passé. Tu espérais secrètement qu’il te choisisse, tu avais tort, c’est elle, qu’il a choisi. Quand il te dit d’aller te faire foutre, y’a un truc qui change, la colère se transforme, et tu ressens une profonde solitude. « Qu’est-ce que... » tu ne peux même pas finir qu’il te coupe, qu’il rabaisse ta passion pour le dessin, la seule chose qui te fait tenir, il renie vos vacances, celle que tu trouvais si parfaite, mais qui n’ont plus qu’un gout de trop, dans ta gorge. Tu secoues la tête, prise à la gorge, comme s’il était entrain de t’étrangler, véritablement. « Je t’ai envoyé un sms je te signale tu ne m’as jamais répondu, et j’attendais que tu le fasses ! t’allais me dire que je te collais trop sinon ! » tu lui dis, encore un peu en colère contre lui, mais, il t’achève finalement, et les lèvres perlent sur tes joues. Toi le problème, toi le monstre. Ouais, c’est ça. Il était le seul à te contredire, quand tu pensais être une monstruosité, aujourd’hui, il te le dit, il te le crache à la gueule, sans tendresse. Y’a plus rien entre vous, y’a jamais rien eu, et ça te détruit. Toi qui t’accrochais à lui, toi qui avait besoin de lui, tu pars ta béquille, et tu ne peux plus avancer. Tu secoues la tête, tu veux lui répondre, mais y’a rien qui ne sort, tu ne sais pas quoi dire, nana, parce qu’il n’y a rien a dire. Alors, tu arrête de le regarder, tu fais demi-tour et tu sors, tu t’éloignes de lui, de son appartement, de la présence de Côme, partout. Tu ne veux plus le voir, tu ne veux plus rien voir. T’avais fait un pas en avant, tu en fais dix en arrière, et tu te sens plus mal encore, que la nuit de la concorde.

Ryan ne prenait plus aucune pincette. Il en avait fait des efforts, avec Nana. Toujours en train de se contenir, de chercher les bons mots pour ne pas la blesser, toujours en train d’essayer de coller à l’image de l’homme qu’elle voulait voir en lui. Mais ce n’était que ça. Une image. Ce n’était pas à lui qu’elle tenait. C’était à l’homme qu’elle rêvait de voir à sa place. Quelqu’un de plus mature, de plus stable, de plus fort. « Qu’est-ce que... » Il ne l’écoutait plus, il ne la laissait même pas parler. Il avait gardé trop de choses en lui pendant trop longtemps. Et aujourd’hui, il n’en pouvait plus de faire semblant. Il n’y arrivait plus. Il ne parvenait plus à trouver la patience d’écouter ses crises de colère, il ne parvenait plus à avoir la sagesse de ne pas répondre à ses reproches. C’était trop facile de remettre ça sur le décès de son frère, ou sur sa maladie. Ryan en avait tout simplement assez. « Je t’ai envoyé un sms je te signale tu ne m’as jamais répondu, et j’attendais que tu le fasses ! t’allais me dire que je te collais trop sinon ! »  Ryan ne s’arrêtait plus, jusqu’à ce qu’il lui lance sa phrase assassine, sachant pertinemment qu’il allait la blesser. Et pendant quelques secondes, il s’en fichait.  Et puis il vit ses yeux embués, et les larmes sur ses joues. « Nana… » Trop tard, elle tournait déjà les talons, quittant le studio. « Nana, attends! » Il alla la rejoindre dans le couloir du bâtiment, et l’attrapa par le bras pour la retenir. « Je voulais pas dire ça, tu le sais bien, c’est juste que…Tu me fais péter les plombs. » Il soupira, et marqua une pause quelques instants. « Allez viens, on en discute calmement. » Il l’aimait trop encore, il ne pouvait pas la laisser partir.

Tu penses à Yuri, en cet instant, et à cette conversation que vous avez eu tout les deux. Ryan, il ne comprendra jamais ce que tu ressens, même s’il daigne faire des efforts, alors tu ne devrais pas lui en vouloir de ne pas être à la hauteur de ce que tu attends, puisque c’est impossible. Mais tu n’y peux rien, Nana, c’est comme ça, tu attendais trop de lui, tu pensais qu’il allait pouvoir te sauver de toi-même, mais non. Ryan n’est qu’un gars comme un autre, pas assez fort pour t’aider, il se contente d’aimer une fille bien comme il faut. Tu secoues la tête pour qu’il ne te voit pas pleurer, mais c’est trop tard, Nana, il t’a vu, et il prononce ton prénom, ce surnom qu’il t’avait donné avec Sacha. Sa voix se fait sucre et tu ne veux plus l’entendre, non ; alors tu sors de cet appartement en te rongeant le frein. Mais il te suit, il accroche ton bras, et toi, tu ne veux plus le voir, tu te dégages violement. « Tu la dis, Ryan. Tu la dis et tu le crois au font de toi. Parce que tu ne comprends pas, tu peux pas comprendre. Tu continues de penser que je peux aller mieux, sans comprendre que je suis malade, que ça ne va pas aller mieux en claquant des doigts. Tu crois que ça me fait plaisir de péter des câbles comme ça ? Tu sais quoi, amuses-toi bien avec Côme, mais vient pas chialer quand elle aura choisi mon frère parce qu’il est plus fun que toi. » tu décides d’être méchante, toi aussi, Nana.

Nana se dégagea de son étreinte, violemment, et Ryan la laissa faire. Il n’allait pas la forcer à revenir à l’intérieur, ou à rester dans ce couloir. « Tu la dis, Ryan. Tu la dis et tu le crois au font de toi. Parce que tu ne comprends pas, tu peux pas comprendre. Tu continues de penser que je peux aller mieux, sans comprendre que je suis malade, que ça ne va pas aller mieux en claquant des doigts. Tu crois que ça me fait plaisir de péter des câbles comme ça ? Tu sais quoi, amuses-toi bien avec Côme, mais vient pas chialer quand elle aura choisi mon frère parce qu’il est plus fun que toi. » Elle-aussi était capable de toucher la corde sensible. Et elle non plus, elle n’hésitait pas. C’était à celui qui blesserait le plus. Il essayait de se sortir Maddox de la tête, depuis que Nana lui avait tout raconté. Mais il restait toujours là, tapis dans un coin de son esprit, lui rappelant que Nana le préférerait toujours à lui, et que Côme avait un jour été sienne. « C’est ça, t’as raison, j’peux pas comprendre. » Il recula de quelques pas, le regard vide, blessé. « T’inquiète pas pour moi. J’suis pas comme toi, moi. J’ai besoin de personne » C’est ce qu’il aimait faire croire, en essayant de s’en convaincre lui-même. Ryan la regarda une dernière fois, avant de lui-aussi tourner les talons, pour retourner à l’intérieur du studio.