- suddenly i'm helpless -
nash kershaw et lula goldstein

Les mêmes visages familiers, les mêmes notes que Lula chantaient toujours avec un large sourire sur le visage. Elle était heureuse, dès qu'elle montait sur la moindre scène, du théâtre de la ville à la petite plateforme au fond du bar du coin. C'était dans un de ces bars qu'elle chantais justement, ce soir-là, une dizaine de ses chansons, un set d'une petite heure que les gens écouteraient d'une oreille, alors qu'ils discuteraient entre eux. Une musique de fond, presque, mais Lula s'en contentait amplement. La jeune chanteuse n'était pas là pour des acclamations, encore moins dans l'espoir de rencontrer la personne qui ferait décoller sa carrière. Certes, tous les soirs pouvaient être le bon, mais elle avait arrêté d'y croire comme une folle toutes les soirs. Les concerts se suivaient, se ressemblaient, et ça lui plaisait suffisamment pour revenir faire de nouveaux concerts, chanter de nouvelles chansons, se livrer un peu plus à ses inconnus qui n'étaient pas vraiment là pour écouter ses histoires. Le set se fini rapidement, sous les quelques applaudissements timides de ceux qui avaient osé l'écouter jusqu'au bout, et Lula remercia le public avant de reposer sa guitare, commençant à plier ses affaires, à ranger le matériel. Parfois, lorsque ses copines ou un de ses frères étaient là, elle profitait de la fin de soirée pour prendre un verre ou deux, mais ce soir-là n'était pas un de cela. Elle était seule, ou du moins elle le croyait. Elle ne s'attendait pas à voir débarquer un garçon de son passé, un visage qu'elle n'avait plus vu depuis plusieurs années maintenant. Encore moins l'impact qu'il aurait sur sa vie. Accroupie en train de démêler les câbles avant de les remettre dans son sac, elle se contenta de sourire à peine, poliment, en voyant quelqu'un s'approcher d'elle. — Bonjour. — ajouta-t-elle d'une voix faible, presque timide. Elle ne l'avait pas assez observer pour réaliser de qui il s'agissait.

C’est un peu à contre-cœur qu’il avait accepté de sortir, ce soir-là, avec certains collègues de travail. La journée avait été longue, voir même pénible, et la seule envie qui lui traversait l’esprit, au moment de quitter le bureau, était d’aller s’installer bien confortablement dans son sofa pour regarder une série quelconque sur Netflix. À moins que Daisy ne veuille lui tenir compagnie, et qu’ils ne décident de se faire un cinéma-maison. Mais c’est son voisin de bureau qu’il le convainquit finalement de venir passer une partie de la soirée avec eux. À vrai dire, dès qu’il avait été question d’une bonne bouffe dans un des restaurants du coin, son estomac avait décidé pour lui. Et maintenant qu’il était de sortit, aussi bien la subir dans son entièreté. Il les suivit donc dans ce bar de quartier, où une petite foule de gens se trouvaient déjà. Dans le fond de la pièce, une jeune femme s’évertuait à faire entendre ses mélodies au-dessus du brouhaha des voix, sans jamais perdre le sourire qui étirait ses lèvres. Il n’y porta pas plus attention que ça, et s’installa avec les gars qui l’accompagnait à l’une des tables encore libres de l’endroit. La conversation reprit de plus belles, mais lorsqu’elle bifurqua sur un sujet qui intéressait bien peu Nash, son attention se rapporta sur la musicienne, dont le set venait de se terminer. Elle reçut un accueil plutôt froid et il s’en désola, car sans avoir pu apprécier la totalité de sa performance, ça lui avait plu. Fixant la jeune fille avec un intérêt particulier, il lui fallut l’apercevoir, en train de ranger sa guitare, pour qu’un déclic se fasse dans son esprit. Il en était certain désormais : il la connaissait. S’excusant subitement auprès de ses camarades, il s’empara de son verre et partit en direction de la petite scène improvisée pour y rejoindre celle qu’il avait connu des années auparavant, alors qu’elle n’était encore qu’une gamine. Visiblement peu habituée à ce qu’un inconnu l’approche, alors qu’elle s’affairait à disposer de ses équipements, elle se montra plutôt timide quand elle le salua. – Lula, Lula Goldstein, je ne me trompe pas? – qu’il lui demanda, même s’il était convaincu qu’il s’agissait bien d’elle. – Ça fait un moment, dis donc. – Il sourit, visiblement amusée de cette situation légèrement improbable. Jamais il ne s’était attendu à le revoir ici, et surtout ce soir. – Je ne sais pas si tu te souviens de moi. Je ne t’en voudrais pas si tu avais oublié... enfin, c’est faux. Je serais un peu vexé, en fait.  –  Un léger éclat de rire sortit d’entre ses lèvres, avant qu’il ne porte son verre jusqu’à sa bouche pour prendre une gorgée de sa bière, le regard toujours fixé sur son ancienne élève.

Lula n'était pas habitué à ce qu'on vienne l'accoster. Cela arrivait, mais c'était plutôt rare. Et lorsqu'il s'agissait d'hommes, elle était bien plus habituée à de la drague un peu trop lourde qu'à de véritable compliments. Mais ce n'était pas pour ça qu'il était là, cet étranger qui se trouvait juste à côté d'elle, et elle ne le comprit que lorsqu'il prononça son nom. Relevant la tête vers lui, elle se redressa avant de l'examiner un instant. Petit à petit, elle tenta de remettre un nom sur ce visage qui fini par lui sembler familier. Ce n'est que lorsqu'il lâcha un léger rire, clamant qu'il serait vexé si elle ne le reconnaissait pas, qu'elle réussit à se rappeler pourquoi il lui semblait si familier. — Nash Kershaw ! — s'exclama-t-elle, un air surpris sur le visage, qui fini par se transformer en un large sourire. Il n'avait au fond, pas tant changer que ça, mais il semblait bien plus mature que la dernière fois qu'elle l'avait vu. Les traits de son visage étaient ceux d'un adulte, et non pas ceux de l'étudiant qu'elle avait connu, des années plus tôt. — Ça fait tellement longtemps, qu'est-ce que tu fais ici ? — Quasiment dix années étaient passées depuis qu'elle avait arrêté de prendre des cours de guitare avec lui, ce professeur recommandé par son grand frère, qui lui avait pratiquement tout apprit. Un de ses caprices de gamine, mais ses parents avaient fini par céder, et elle en faisait aujourd'hui son métier. Une belle évolution qui la ravissait elle, même si ce n'était pas le cas de monsieur et madame Goldstein. Elle continua d'observer l'homme devant elle, souriante, ravie de le revoir après tout ce temps. — Si on m'avait dit que je tomberais sur toi, je crois que je ne l'aurais pas cru. — Il était devenu un homme plutôt charmant. Vraiment beau, même, bien que Lula tentait de se convaincre du contraire. Si à l'époque elle n'avait jamais vraiment prêté attention au charme de l'homme, ce n'était pas le cas aujourd'hui, et en quelques secondes en face de lui, elle pouvait déjà avouer une chose: son rire et le bleu de ses yeux pouvaient sûrement faire chavirer le coeur de toute la pièce, mais elle resta calme, amicale, presque professionnelle. Si ce n'était plus son professeur de guitare aujourd'hui, ce n'était pas une raison pour ne juger que par ses beaux yeux. La jeune femme n'était pas comme ça, il lui fallait bien plus pour se laisser envouter par un homme.

Il n’aurait jamais aussi abordé la jeune chanteuse s’il n’avait pas été persuadé de son identité. Rarement il accostait les étrangères dans les bars – à vrai, c’est plutôt le contraire qui se produisait, plus souvent qu’autrement. Ça le flattait, ce genre d’attention, quel homme ne l’aurait pas été? Mais il n’était pas de ceux qui abusait de la situation. Quelques fois, il partageait un verre et une petite discussion avec certaines d’entre elles. Rares, cependant, étaient celles qui dépassaient ce stade. Nash ne cherchait pas à s’engager, pas de cette façon. Puis, il y avait Ariadne, s’il avait un léger besoin d’affection. L’amour, lui, semblait le fuir comme la peste depuis des années, et à force, il s’y était habitué, bien malgré lui. Il fallut un léger moment à la jeune fille pour le reconnaître, et lorsqu’il l’entendit s’exclamer de son nom, un large sourire étira son visage. – Je suis de sortie avec des collègues de travail… ça doit bien faire sept ans que je suis rentrée à Brighton, d’ailleurs. Ton frère ne t’as pas dit? – Jasper, son grand ami. La raison même pour laquelle Lula et lui se connaissait plus que de nom, puisque c’est lui qui avait proposé aux parents Goldstein que Nash enseigne les bases de son instrument à la gamine qu’elle était, à l’époque. Il se doutait bien ne pas l’être un sujet de conversation entre les deux membres de cette fratrie. Les raisons de son retour, par contre, aurait bien pu être évoquer, au cours d’un dîner. Sally, sa mort, qui avait tant changer de chose dans sa vie. Sept années, déjà, qu’elle brillait par son absence, et Nash gardait toujours cette impression, même après tout ce temps, qu’elle risquait de passer la porte à tout moment, souriant à pleines dents, son visage marqué par la joie continuelle qui l’habitait. Par reflexe, il détourna la tête un instant pour pointer de son regard bleuté l’entrée du bar, mais personne ne pénétra à l’intérieur de ce dernier. Il rapporta son attention sur la musicienne, remarquant qu’elle l’observait avec attention. – J’ai bien failli ne jamais venir, à vrai dire. Disons qu’ils m’ont légèrement tordu le bras pour me traîner avec eux. –  D’un signe de la tête, il indiqua une table non loin du bar, où ses camarades discutaient avec entrain, se souciant bien peu de son absence. – Mais je suis content d’être là. Je ne m’attendais pas à te revoir non plus. – Elle n’avait plus rien de l’adolescente a qui il avait enseigné. Enfin, si. Elle avait conservé ses pommettes rosées et ce regard toujours aussi pétillant qu’avant. Du reste, son corps avait évolué avec les années, l’amenant lentement vers l’âge adulte, avec ces courbes qui s’étaient développés. Nash chassa rapidement cette pensée de son esprit. D’accord, elle était mignonne, mais ce n’était pas une raison pour se mettre à la traiter comme un vulgaire morceau de viande. Lula ne méritait clairement pas ce genre de traitement de sa part. – Je… je t’invite à prendre un verre? Si tu n’as pas d’autres engagements, bien sûr. – lui demanda-t-il en passant nerveusement sa main vacante dans sa chevelure bouclée. Peut-être qu’on l’attendait ailleurs, que des amis viendraient la rejoindre sous peu, ou même son petit ami, qui sait. Il prenait un risque en l’invitant de la sorte, mais l’occasion était parfaite pour renouer, après tant d’années.

Lorsque Nash évoqua Jasper, un léger sourire apparu sur les lèvres de la jeune femme. C'est vrai qu'il était proche de Jasper, le plus grand de la fratrie Goldstein, Lula l'avait presque oublié, pendant une minute. Elle se souvenait soudainement de la façon dont, encore gamine, elle avait supplié ses parents de lui payer un prof de guitare, jusqu'à ce que son frère intervienne, proposant le nom de Nash pour enseigner le fameux instrument à sa soeur. Les parents Goldstein avaient fini par craquer, non sans râler plusieurs jours, jusqu'à ce qu'ils se rendent compte que Lula voulait vraiment faire de la guitare, et que les cours que lui filaient Nash l'avait fait progresser comme personne ne l'aurait imaginé. Car Nash, elle l'écoutait, religieusement, prête à essayer toutes les techniques qu'il lui donnait pour s'améliorer, chaque nouvel accord, chaque barré un peu trop compliqué pour ses petits doigts. Elle ne renonçait à rien. C'était peut-être pour ça qu'aujourd'hui, elle pouvait se servir de ce même instrument pour payer les factures. Mais Jasper n'avait pas dit à Lula que le jeune professeur était de retour en ville. À vrai dire, non seulement ils n'avaient pas parlé de Nash depuis des années, mais Lula voyait de moins en moins son frère, depuis l'accident de la femme qu'il aimait. C'était dur pour lui d'avoir perdu sa bien aimée, dur pour elle de le voir dans cet état, et au final, elle ne se sentait plus aussi proche de l'homme qu'autre fois, à son grand malheur. Elle haussa légèrement les épaules. — Il a dû oublier qu'on se connaissait, à mon avis. Ça remonte, on peut pas lui en vouloir. — dit-elle avec un léger rire. Pour elle, c'était il y a si longtemps. Elle avait tellement grandi et changeait depuis la dernière fois où ils s'étaient vu, qu'elle n'avait même pas l'impression d'être la même personne. Et pourtant. Nash lui expliqua que ses collègues de travail, assis un peu plus loin, lui avait forcé la main pour qu'il vienne jusqu'ici, et la musicienne lâcha un petit rire. Elle était ravis qu'il soit ici, et s'il avait pu entendre ne serait-ce que les derniers accords de son set, elle en était ravi. C'était grâce à lui qu'elle en était arrivé là, elle ne pourrait jamais dire le contraire. Elle ne le remercierait sûrement jamais assez. — Ça me fait plaisir aussi. — Plaisir qu'il soit là, plaisir de le voir, plaisir de reprendre contact après tant d'années. Pourtant lui non plus n'avait plus rien du jeune musicien qu'il était, à l'époque. Certes, ses traits avaient légèrement vieillis, mais il semblait aussi plus mature, plus posé. Il était là avec ses collègues de bureau, à clamer qu'il ne voulait pas sortir. Dur de croire que c'était le même Nash que celui qui faisait les quatre cent coups avec son frère, des années plus tôt. Un sourire un peu plus large s'afficha sur les lèvres de la jeune femme lorsqu'il lui proposa un verre, l'air un peu nerveux, ce qui ne manqua pas d'amuser la jeune femme. — Aucun engagement, ce serait sympa au contraire. — répondit-elle avant de lui faire un léger signe de la tête, quittant le coin de la scène pour s'avancer vers le bar. Ce n'était pas dans ses habitudes d'accepter des verres d'hommes, mais Nash, après tout, elle le connaissait. Combien d'heures avaient-ils passer dans sa chambre à tenter de trouver le son parfait ? Elle ne les comptait même plus. Elle n'y avait plus pensé depuis tellement longtemps, et pourtant se retrouver là, avec Nash, c'était comme si tout lui revenait à vitesse grand V. — Alors, qu'est-ce que tu fais maintenant ? Toujours dans la musique ? — demanda-t-elle, une fois installée sur un petit tabouret devant le bar. La blonde avait demandé ça par évidence, presque, mais elle sentait pourtant que la réponse serait négative. Pourtant, imaginer le jeune Kershaw faire autre chose que de la musique, ça lui semblait impossible.

Son amitié avec Jasper remontait à loin, à vrai dire, il ne se souvenait plus quand exactement ils avaient commencé à trainer ensemble, mais il faut croire que cette relation était faite pour perdurer, car encore aujourd’hui, il considérait l’ainé de la fratrie Goldstein comme un de ses meilleurs amis. La vie amenait parfois son lot de difficulté, les poussant vers des chemins différents, mais Nash savait qu’il pouvait toujours compter sur ce dernier, et l’inverse était tout aussi vrai. La remarque de Lula lui arracha néanmoins l’ombre d’un sourire. – Fort possible. – Il haussa les épaules, preuve que ça ne le dérangeait pas le moins du monde. Jasper faisait bien ce qu’il voulait, après tout. Et puis, il est vrai qu’en dix années, il avait pu tout simplement l’oublier. Mais clairement, ce n’était pas le cas de lui et de Lula, même si la mémoire leur manqua pendant un certain laps de temps avant qu’ils se reconnaissent, pour de bon cette fois. Il s’en voulait tout de même un peu de ne l’avoir reconnu plus tôt : peut-être, alors, il aurait apprécié avec plus d’intérêt les extraits qu’elle présentait. Il aurait porter attention aux accords, aux mélodies et aux mots qu’elle avait écrit, et ce, avec une certaine fierté. Dire qu’au commencement, elle parvenait à peine à enchainer deux harmonies sur la guitare. La voilà qui composait elle-même ses chansons, s’accompagnant de l’instrument, cette passion commune qu’ils avaient partagée, à une époque qui lui semblait si lointaine, désormais. – De ce que j’ai pu entendre, tu n’as pas cessé de progresser. Je suis impressionné. – Malgré le peu de reconnaissance obtenue ce soir-là, elle n’avait pas perdu sa concentration, elle avait gardé la tête haute, et elle avait continuer de chanter. Elle était parvenue à vivre de sa passion, là où lui avait lâchement jeté l’éponge. Une petite de son rêve continuait cependant de vivre au travers Lula, et il ne put s’empêcher de sourire énigmatiquement, alors que la jeune femme lui confiait être libre, et disposer à passer un moment en sa compagnie. Son verre – vide – en main, il la suivit jusqu’au bar où elle s’installa, l’invitant à faire de même. Il glissa la pinte vers la serveuse, lui demandant d’un signe de la main de lui en servir un autre, ainsi qu’un second verre pour la musicienne installée à ses côtés. Alors qu’ils attendaient leur breuvage, son ancienne élève chercha à savoir ce qu’il avait fait de toutes ses années. – Non, malheureusement. Je travaille dans les finances. – lui répondit-il en affichant une certaine moue de dédain sur son visage, signe que cet emploi n’avait jamais figuré dans ses premiers choix de carrière. Pourtant, ça faisait plus de huit ans qu’il bossait dans le domaine, faute d’avoir trouvé mieux. Ce boulot payait bien, les horaires de travail lui convenait et il avait droit à quelques semaines de vacances, bien méritée, en cours d’année. – J’ai dû abandonner mes études en musique quand Sally est décédée… - Sa sœur ainée, il lui en avait surement déjà parler, au cours de leur séance de guitare, alors que les discussions voguaient d’un sujet à l’autre sans réellement s’arrêter sur un sujet en particulier. – Et je suis rentrée de Londres pour m’occuper de ma filleule, donc j’ai dû me trouver rapidement de quoi subvenir à nos besoins, tu vois. – Il passa une main dans sa nuque un peu distraitement, au même moment où la serveuse revenait avec leur boisson ambrée. Il remercia la femme avant de ramener son attention vers Lula. – Santé? À nos retrouvailles, tiens! – fit-il en tendant son verre vers celui de sa compagne de fin de soirée. Ils trinquèrent avant qu’il n’avale une première gorgée, reposant ensuite le contenant de verre sur le comptoir de bois. – De ton côté, je vois que tu n’as pas renoncés. – D’un signe de tête, il indiqua la scène où elle s’était précédemment trouvée. – Ça fonctionne bien de ton côté? La musique, je veux dire. – Comment était-ce de pouvoir vivre de son instrument, de son talent? Nash aurait bien aimé le découvrir par lui-même, mais peut-être qu’il parviendrait à la vivre par procuration, si Lula acceptait de lui en parler.

Se retrouver à boire un verre avec son ancien professeur de guitare, elle ne l’avait pas imaginé, même dans ses rêves les plus dingues. Oui, elle s’était parfois demandé ce qu’il devenait. Persuadé qu’il vivait toujours à Londres, elle le voyait bien avoir intégré un petit groupe, réputé mais pas assez pour que ça lui soit revenu aux oreilles. C’était tout, elle ne cherchait pas à en savoir plus. Elle était loin de se douter que, tout ce temps, il était revenu là, à Brighton. Les petits compliments de Nash firent monter le rose à ses joues, sans vraiment savoir pourquoi. Elle était heureuse qu’il pense ça de ses chansons, après tout, sans lui jamais elle n’aurait pu se lancer autant. Il était, même s’il ne s’en rendait sûrement pas compte, la raison pour laquelle elle avait fini par choisir cette voie, pour de bon. Lula n’avait jamais pu compter sur le soutient de ses parents, bien qu’ils avaient fini par lui payer des cours de guitare et son instrument, à force de les supplier. Mais pour eux, ce n’était qu’un vague amusement, une passion quelconque, un passe temps. Pas pour Lula, qui s’imaginait déjà conquérir le coeur de l’Angleterre entière avec ses mélodies. Et si ce n’était pas le cas aujourd’hui, elle était malgré tout heureuse de pouvoir se produire et vivre de cette passion dévorante pour la musique, encore plus lorsqu’on la complimentait à ce sujet. La petite blonde, dont les joues avaient tendance à rougir bien plus rapidement qu’elle ne l’aurait souhaité, tenta de détourner le sujet, allant directement se poser au bar, suivie rapidement par l’homme qui comptait visiblement passer un bout de la soirée à ses côtés, à son plus grand plaisir. — Les finances ? — Elle le regarda avec un air perdu, étonné, un peu amusé. Nash Kershaw dans les finances, c’était bien dur à imaginer, pour elle. Elle ne le connaissait pas comme, l’homme posé, à travailler derrière un bureau. Pourtant, il allait falloir qu’elle change la façon dont elle le voyait, car l’homme à ses côtés n’avait rien à voir avec le garçon qui lui apprenait à jouer. Il continua de s’expliquer, sur pourquoi il avait arrêté la musique, et Lula pu sentir son visage perdre toutes ses couleurs. Elle avait beau ne pas connaitre Sally personnellement, mais ça ne l’empêcher pas de sentir son coeur se serrer soudainement. Après tout, Nash lui en avait parlé, très souvent, ainsi que Nora, avec qui elle avait l’habitude de trainer, lorsqu’elles étaient plus jeunes, toujours prête à embêter leurs deux idiots de frères dès qu’elles en avaient l’occasion. — Nash, je… J’en avais aucune idée, je suis tellement désolée. — se décida-t-elle à marmonner, venant poser sa main doucement sur son bras d’un geste réconfortant, avant de la retirer lorsqu’une serveuse leur porta leurs boissons. La musicienne força un sourire sur ses lèvres, ne voulant pas s’attarder trop sur un sujet qui pourrait le mettre mal à l’aise, ou lui gâcher à la soirée. — Tu as raison, à nos retrouvailles. — Lula tendit son verre vers lui à son tour, son sourire se faisant petit à petit plus honnête, plus heureux, et elle prit une gorgée ou deux, reposant ensuite le verre devant elle. Nash lui parla à nouveau de sa musique, faisant naitre un sourire bien plus large sur ses lèvres. Elle n’avait jamais renoncé, et elle ne comptait pas lâcher l’affaire de si tôt. Peut-être était-ce à cause de son âge, mais elle n’était pas prête à laisser son rêve de gamine tomber. Immature, c’était ce que ses parents avaient tendance à dire. Mais elle s’en fichait bien, Lula. Elle aimait bien trop cette sensation, lorsqu’elle était sur scène. — Ça marche plus ou moins bien, oui. Parfois c’est un peu plus dur, mais ça me plait, dans tous les cas. Je lâcherais ça pour rien au monde. — Elle lui lança un nouveau regard plein de douceur, heureuse d’avoir quelqu’un qui comprenait ce qu’elle disait. — Je ne dis pas que la vie d’artiste est fantastique, mais je me produis un peu partout dans la ville, toujours pour chanter mes chansons. Parfois on m’écoute, parfois quelques personnes viennent me féliciter. J’ai même assez pour me louer un petit appartement dans le centre, alors je demande rien de plus, pour l’instant. — Oui, Lula avait toujours su se contenter de choses simples, malgré ses rêves parfois plus fous les uns que les autres.

Il n’allait pas prendre le risque de l’avouer haut et fort, mais Nash était plutôt fier de Lula, et cette fierté était bien visible dans son regard qu’il ne parvenait pas à détacher d’elle. Elle avait réussi là où il avait lamentablement échoué, elle s’était battue pour se tailler une place dans le milieu alors que lui avait jeter l’éponge face au premier obstacle. La mort de Sally avait mis un terme prématuré à sa jeune carrière musicale, mais il ne pouvait pas lui en vouloir. Il avait été le seul à prendre cette décision, et avec du recul, ça avait été la chose à faire. Certes, il avait des regrets, et il se questionnait parfois sur ce que sa vie aurait pu être, si la vie avait poursuivi son cours sans accrochage. Il en avait même fait une obsession, durant les premiers mois, avant de se dire que ça ne servait à rien de se faire du mal de la sorte. C’est à cette époque qu’il avait sagement rangé sa guitare pour ne plus jamais la ressortir du placard où elle trainait encore, accumulant la poussière depuis plusieurs années. Ça lui démangeait encore, par moment, de gratter les cordes de cette dernière, mais il n’en avait pas le temps. Ou plutôt, il ne se le donnait pas.  – Une solution de rechange facile... Un de mes amis avaient des contacts dans une banque, ils cherchaient des employés, tout ça. J’avais besoin d’un boulot rapidement, alors j’ai sauté sur l’occasion. – Nash le voyait bien, à son regard. Lula ne parvenait pas à concevoir que l’homme talentueux qu’elle avait connu se retrouvait désormais à travailler dans une tour à bureaux, à gérer les comptes en banque des différentes clientèles qui venaient le rencontrer. – Ce n’est pas le boulot le plus fascinant du monde, mais ça paye bien. – qu’il ajouta en haussant les épaules, comme pour se justifier. Ce job, il le détestait. Il en avait toujours été ainsi. Mais il devait subvenir au besoin de sa nièce, et il avait opté pour la facilité, et la rapidité. Matilda ne manquait de rien, et c’est la seule chose de bien qu’il y avait au sujet de cet emploi. Le visage de la musicienne se décomposa en quelques instants quand il mentionna le décès de Sally, et le Kershaw fut surpris de constater que la jeune femme n’avait pas été mise au courant. Elle posa doucement une main sur son épaule afin de lui apporter un peu de réconfort, mais elle la retira presque aussitôt quand la barmaid revint avec leurs breuvages. - Merci. – qu’il ajouta seulement, ne désirant pas s’aventurer davantage sur ce sujet toujours aussi délicat, même après toutes ses années. Il misa donc sur l’arrivée de leur verre pour changer le ton de la conversation, et ils trinquèrent à leurs retrouvailles, la meilleure surprise de cette soirée. Curieux, il chercha à en savoir un peu plus sur la carrière de son ancienne élève, et il tendit attentivement l’oreille alors qu’elle s’exprimait tout ce que ce métier avait fait de bon, pour elle. Il y avait des hauts et des bas, détails que Nash n’ignorait pas, mais il était heureux de constater qu’elle parvenait à s’en sortir malgré tout, à suivre le courant et se laisser porter par la vague. – Je suis vraiment content pour toi. – Et il était sincère, le jeune homme. S’il y avait bien une personne qui méritait de connaître le succès, c’était bien elle. Il attrapa son verre pour prendre quelques gorgés du breuvage ambré, avant de le reposer sur le bar, son regard toujours braqué sur la chanteuse. - Si ça te dit, on pourrait aller manger dans un bon resto, un soir. – proposa-t-il sans aucune arrière-pensée. – Une seule soirée pour rattraper dix années, c’est bien trop peu. – Un franc sourire étirait ses lèvres. – Enfin, ça ne t’oblige à rien. Je ne voudrais pas te causer du souci avec un potentiel petit ami... – Il ne savait pas si elle était en couple, à vrai dire. Nul n’était son intention de prendre la place de ce mec-là, s’il existait.

La passion que Lula avait pour la musique était, et avait toujours été, une part entière de sa vie. Pour cette gamine sans grande motivation pour quoi que ce soit de plus dans la vie, c'était la seule chose qui la motivait vraiment dans sa vie, et la rendait si joviale et agréable au quotidien. C'était aussi probablement le seul moyen qu'elle avait de dire réellement ce qu'elle avait sur le coeur, à travers des paroles, des mélodies, tantôt joyeuses tantôt mélancoliques. Elle ne se voyait pas faire autre chose de sa vie que chanter, et même si elle n'en dit rien, une partie d'elle admirait Nash, et la façon dont il avait choisi la stabilité pour lui et sa nièce, en travaillant dans quelque chose de plus certain que la musique. Elle était triste pour lui, certes. Non seulement parce que ce choix venait à la suite du décès de sa soeur, mais parce qu'elle savait à quel point il tenait à la musique. Elle savait aussi à quel point il était talentueux, et c'était dommage de gâcher un tel talent, de le laisser au fond d'un tiroir et de l'oublier. Nash était certainement le musicien le plus talentueux qu'elle connaissait, et elle ne doutait pas qu'il avait dû s'améliorer, au fil des années. Il sembla heureux, lorsqu'elle lui expliqua vivre de son art, ce qui fit sourire la jeune femme un peu plus, son regard s'encrant un instant dans le bleu du sien, un peu trop longtemps sûrement, et elle dû détourner le regard en rougissant finalement, alors qu'il lui proposait un dîner. Malgré sa gêne apparente, plus due à cet instant où elle s'était perdu dans la beauté de ses yeux que par sa proposition, elle hocha rapidement la tête. — Ce serait avec plaisir, oui. Tu pourras me parler de Londres et de tout ce que tu as fait depuis la dernière et... je te dirais que ma vie n'est pas si différente, en fait. — Elle lâcha un petit rire, qui s'intensifia alors qu'il lui parla d'un potentiel petit-ami. Le rouge reprit d'assaut ses joues alors qu'elle secoua doucement la tête. Le dernier petit-ami qu'elle avait eu remonté à quelques années maintenant, une relation bancale avec un garçon de son âge, qui n'avait duré que quelques semaines tout au plus. Elle ne faisait pas fuir les garçons, mais elle ne les attirait pas non plus comme un aimant. — Non, pas de potentiel petit-ami, ne t'en fais pas. Et quand bien même, j'aurais quand même accepté d'aller manger avec toi. On s'est perdu de vue trop longtemps pour refuser une telle offre. — C'était faux, elle le savait bien. Elle n'aurait probablement pas accepter un repas avec un autre homme, si elle avait quelqu'un dans sa vie. Mais ce n'était pas le cas, et elle n'allait pas refuser un tête à tête avec, il fallait l'avouer, un des hommes les plus beaux qu'elle avait pu voir récemment. Mais son cerveau ne cessait de le lui rappeler: c'était Nash. Très bon ami de son frère, du plus grand des trois, son ancien professeur de guitare, et, à son souvenir, il avait quelques années de puis qu'elle, assez pour être une gamine à ses yeux. S'il l'invitait, c'était simplement au nom du bon vieux temps. Lula but une gorgée de sa bière avant de la reposer sur le comptoir et de reprendre la parole. — Si ça ne dérange pas une potentielle petite-amie, je peux te laisser mon numéro. — Elle tâtait le terrain à sa façon, reprenant les mots de l'homme, à la fois pour lui laisser son numéro et savoir s'il avait quelqu'un dans sa vie. Après tout, c'était fort probable. Elle devait arrêter d'imaginer qu'il pourrait possiblement s'intéresser à elle, un jour. Cette relation, ce n'était pas ça. Ça ne l'avait jamais été, ça ne le serait jamais. Il avait beau être vraiment craquant, ça ne changeait rien. Il n'était pas pour elle.

Faire le sacrifice de sa passion restait, à ce jour, la chose la plus difficile qu’il ait jamais eu à faire. Les circonstances autour desquels il avait fait ce choix n’aidait en rien à la situation, ce sentiment d’urgence, ce besoin incessant de stopper l’hémorragie qui l’avait habité à l’époque où il se retrouvait devant sa nièce orpheline et ses parents endeuillés, sur le point de mettre en terre leur fille ainée. Seul homme de la famille, il avait pris sur lui pour que les autres puissent vivre leur deuil, mais il s’était oublié dans cette histoire. Son bonheur passait bon second devant ceux des autres. Il en avait toujours été de même, c’était à même sa nature. Et même si cette autre vie et ce qu’elle aurait pu lui apporter lui manquait, il ne regrettait pas d’avoir agi pour le bien des siens. Voir sa nièce grandir et s’épanouir effaçait de nombreux tourments, même si la gamine ressemblait de plus en plus à sa défunte mère. Préférant ne pas s’enfoncer dans de sombres pensées, il se concentra sur la vie plus palpitante de Lula, qui était parvenue à atteindre cet objectif pour lequel il aurait tant voulu se démener, lui aussi. Une route ardue, mais qui valait la peine d’être parcouru. La musicienne semblait comblée, heureuse, et Nash ne put s’empêcher de sourire, vivant par procuration cette satisfaction. Leur regard se croisèrent et pendant un instant, ils s’encrèrent l’un dans l’autre. Un peu trop longtemps. Elle fut la première à se détourner, le rouge lui montant aux joues alors qu’il lui proposait de la revoir lors d’un éventuel repas. Peut-être l’avait-il gênée avec sa requête, mais elle sembla au contraire plutôt ravie de sa proportion, et le rire du blond se mêla pendant un court moment au sien, puis il s’arrêta, le temps de l’entendre lui répondre qu’elle n’avait personne dans sa vie. Du moins, amoureusement parlant. Une certaine chaleur envahie Nash à cette pensée, mais il chassa bien vite les quelques pensées qui aurait pu naître dans son esprit. – Oh, je ne m’inquiétais pas. Je voulais juste m’assurer de ne brusquer personne avec ma proposition. – Inconsciemment, aussi, valider qu’il y avait toujours une place vacante dans la vie de la jeune guitariste. Même s’il n’oserait jamais se l’avouer à lui-même. Car il ne réalisait pas encore à quel point ce prétexte pour la revoir en cachait un autre, sujet sensible pour le conseiller financier, dont les amours avaient connu quelques ratés au cours des dernières années. Elle reprit une gorgée de sa bière et il en fit tout autant et il manqua de s’étouffer avec sa gorgée – ce qu’il réussit à masquer en toute subtilité – quand elle lui renvoya la question. – Il faudrait déjà qu’il y en ait une pour que ça la dérange. – répondit-il simplement en haussant les épaules, avant de sortir son portable de la poche de son jean, pour le tendre à Lula afin qu’elle y ajoute ses coordonnées. Elle le lui rendit bien vite, et il lui envoya vite fait un texto afin qu’elle puisse enregistrer les siennes. Il remarqua alors les textos en attente d’être lu, et il y jeta un rapide coup d’œil, avant de détourner la tête vers la table de ses collègues, qui l’observait avec une certaine curiosité. Soupirant, il tourna son regard vers la jeune femme. – Je vais devoir t’abandonner pour retourner les voir avant qu'ils ne deviennent un peu trop curieux, mais sache que je suis vraiment content de t’avoir revu. Je t’appelle bientôt, promis. – Et il avait bien l’intention de respecter sa promesse. En son for intérieur, il savait bien qu’il allait la revoir, qu’importe le moment ou l’occasion. Il trouverait bien un prétexte pour lui soutirer un peu de temps afin qu’elle le passe en sa compagnie. Du moment qu’elle le voulait bien, elle aussi.

Elle n’était pas doué avec les hommes, Lula. C’était certainement pour ça qu’elle s’en tenait éloigner. Elle était dû genre à tomber trop vite, sans faire vraiment attention, finissant généralement par se casser la figure au bout du compte. Il n’y avait pas eu beaucoup de garçons dans sa vie, et elle ne cherchait pas à en avoir plus, c’était une évidence pour elle. Pourtant, elle agissait avec Nash comme elle aurait agit avec un garçon qui lui plaisait. Elle riait nerveusement, rougissait, tentait de savoir s’il avait une petite-amie ou pas. La petite blonde aurait voulu se mettre des baffes, mais se contenta de sourire. Il ne fallait pas être idiote pour se comprendre qu’à ses yeux, elle n’était que la gamine a qui il donnait des cours, il y a longtemps. Et aux yeux de Lula, il n’était que l’ancien professeur, l’ami de son grand frère, tout simplement. Rien de plus, elle ne devait pas se faire d’idées. Elle sourit malgré tout lorsqu’il annonça qu’il n’y avait pas de petite-amie prête à faire une crise jalousie, s’ils venaient à aller au restaurant ensemble. Rapidement, ils échangèrent leurs numéros, et Lula avait déjà hâte à la prochaine fois où ils se verraient. Elle se sentait idiote, la gamine, vraiment idiote d’agir comme ça. Mais ce n’était pas comme si elle pouvait retenir ce sourire idiot sur ses lèvres. — Ne t’en fais pas, retourne avec tes amis. Je dois démonter mon matériel, de toute façon. — Elle jeta à son tour un regard vers la table où se trouvait ses collègues, se sentant légèrement gênée lorsqu’elle remarqua certains regards sur eux. — Ça m’a fait plaisir aussi, Nash. — répondit-elle simplement en le regardant à nouveau, lui souriant honnêtement. Cela faisait bien trop longtemps, et elle pouvait le réaliser, maintenant qu’il était devant elle. Le courant était toujours passé entre eux, même lorsqu’il était son professeur et qu’il aurait dû s’arracher les cheveux tant elle était nulle à la guitare. Mais non, il avait toujours été patient, sachant comment s’y prendre pour ne pas la décourager. Elle l’avait toujours vu comme un ami, même si leurs chemins avaient fini par se séparer. Un dernier sourire, elle recula légèrement. — À la prochaine. — conclut-elle finalement avant de se détourner, souriant toujours, afin de retourner à sa petite scène où l’attendait toujours son instrument et le reste de son matériel.