Le paysage montagneux et rocheux se dessinait au loin. Des courbes rondes ou pointues se mélangeaient aux nuages présents dans le ciel. Elle pouvait tendre le bras, et prétendre les atteindre du bout des doigts. Tout semblait plus paisible au sommet d’une montagne. Le silence, le calme, la blancheur immaculée de la neige épaisse et fraiche. Le ciel était vaste et infini, et personne n’était important, tout là-haut. Lisa voulait partir, parfois. Pour le bien d’Alex, pour le délivrer d’une relation vouée à l’échec, des blessures qu’elle lui infligeait. Mais sa fierté la retenait chez eux. Puis l’amour, aussi. Cet amour inconditionnel pour cet homme qui la comprenait, qui l’aimait. Leur quotidien n’était plus rythmé que par des querelles, des guerres enfantines à coup de shampoing trafiqué, et de linge rose. Mais bon sang, qu’est-ce qu’elle l’aimait ! La pluie menaçait de tomber à tout moment. Une averse, qui n’arrangerait en rien l’humeur de l’avocate. Un énième soupire quitta ses lèvres, alors qu’elle regarda une nouvelle fois l’écran de son téléphone. Aucun appel, aucun message. Rien. Le néant. Le vide total. C’était bête. Un accident, comme il peut en arriver des dizaines par jour. Son pneu avait crevé, en plein milieu de la nationale, pour une raison qui restait vague. Un bout de verre, peut-être, ou un autre débris assez gros, assez aiguisé pour lui faire quitter le goudron gris. C’est donc adossée contre la portière de la voiture, les bras croisés, gilet orange bien en place au dessus de son manteau, que Lisa attendait la dépanneuse. Avec Joan. La meilleure amie d’Alex, celle qui aurait pu lui dire oui à l’autel dans une autre vie, celle qui ne l’aurait jamais trompé. Joan Fairchild. Elle avait rendu une faveur à Alex en allant la chercher, parce qu’il ne pouvait pas. Malgré l’envie de lui dire non, de se débrouiller, surtout pour aller chercher Joan, elle n’avait pas eu le cœur à le faire. Elle tourna la tête pour examiner le profil de la brune. Le mépris était mutuel entre les deux jeunes femmes. L’envie d’étrangler aussi, parfois. Ça n’avait jamais cliqué entre elles depuis la fac. Et si Lisa était honnête, elle était même un peu jalouse et agacée. Parce que Joan était la seule à avoir une place spéciale dans le cœur de son mari. Lisa occupait l’espace principal, mais Joan s’y était frayé un chemin solide et indestructible. « Tu devrais pas t’asseoir là-dessus, » commença-t-elle, pointant du doigt l’espèce de regard sur lequel la brune était assise. « Ça va aplatir encore plus tes fesses déjà plates, » finit-elle, un faux sourire en place sur ses lèvres.

Le plastique dur de la voiture lui rentrait péniblement dans le dos. Une vive douleur commençait à se former au creux de ses reins. A force de rester debout, à force de porter des talons toute la journée. L’apparence comptait au milieu de ses pairs. Lisa n’était rien d’autre qu’irréprochable dans son travail, dans sa tenue, ses relations. Sauf dans son mariage. Son regard alternait entre la route inlassablement vide, et le ciel, de plus en plus gris, de plus en plus couvert. Elle se surprenait à rêver à tous ces films de science-fiction, ou de super-héros, où d’un simple claquement de doigt, les protagonistes pouvaient se téléporter. Retrouver le confort de leur maison, sans attendre une foutue dépanneuse. Les minutes qui défilaient, s’écoulaient avec une lenteur déconcertante. Elle aurait juré avoir appelé son assurance il y a plus d’une heure déjà. Mais non, apparemment, ça ne faisait même pas vingt minutes. Son attention se reporta sur Joan, assise sur un des séparateurs. C’était de sa faute. A la brune, à Alex. A Lisa, pour avoir voulu rendre service, pour une fois. Au débris sur la route. Les blâmes étaient multiples. Elle roula des yeux, se détachant doucement de la voiture. « Ça ? C’est que du naturel, chérie, » lança-t-elle, pointant du doigt son postérieur. « C’est sûr qu’à côté de toi, n’importe quelle femme légèrement apprêtée ferait superficielle. » Leurs styles étaient radicalement opposés. Lisa préférait les robes aux jeans, et les talons aux baskets. Encore une différence qui les éloignait et qui la forçait à se demander ce qu’Alex avait bien pu lui trouver. Elle fourra ses mains dans les poches de son manteau. Le gilet orange commençait à l’oppresser. Cette situation entière l’oppressait. Le cliquetis de ses talons rythmait le silence désarmant de la national. Des centaines de kilomètres de verdures s’étendaient autour d’elles. L’expression être au milieu de nulle part résumait assez bien la situation. Pourtant, Brighton n’était pas loin. Elle laissa échapper un rire, croisant le regard de Joan. « Non, je t’ai menti depuis le début. Parce que c’est connu, j’adore perdre mon temps en ta charmant compagnie, » déclara-t-elle, roulant une nouvelle fois des prunelles. Elle sortit son portable de sa poche pour vérifier une nouvelle fois ses notifications. Toujours rien. Elle souffla dramatiquement trop fort. « Je sais pas ce qu’ils font, mais ils sont clairement incompétents. Tu sais pas changer un pneu toi ? » S’enquit-elle, s’avançant vers le coffre de la voiture. Les clichés, toujours les clichés. « Je crois que j’en ai un dans le coffre, » finit-elle, ouvrant ledit coffre. Un pneu presque neuf jonchait au fond, dans un coin sombre.