Ma silhouette s’amenuisait au fond de la rue. Je marchais dans le sens inverse, le souffle étouffé par les vacarmes des voitures et les émanations des réverbères. Le gravier s’enfonçait dans mes chaussures, créant la confusion dans mon équilibre. Les larmes se condensaient entre mes paupières, perdues dans l’immensité de la ville. Je portais le deuil de William et la rengaine de James. Visages identiques et passions différentes. Deux hommes. Deux amours qui brûlaient au creux de mon âme. Je fixais l’horizon en accélérant le pas, happant le vent et les façades grises de la galerie marchande. La nuit coulait sur l’asphalte humide, laissant place aux lueurs de l’aube et ses enchantements. Je n’avais pas dormi. Mon coeur vagabondait dans l’espace. Il se perdait dans les revers de Brighton et ses parcs abandonnés. Ma gorge se serrait violemment. Je n’arrêtais pas d’y penser. A chaque instant. A chaque fois, que je prenais mon souffle. Le temps n’effaçait pas la douleur. Je n’osais pas excuser mes fautes ni mes tromperie. C’était il y a des années. Pourtant, l’étreinte de Jacob était restée sur ma peau telle une morsure de givre étendant ses poisons dans mes os. Je n’oubliais pas les halètements nocturnes. La chute et l’affection perverse qui bordaient nos corps épris d’illusion. Ma conscience brûlait dans les regrets. Nous étions humains, prisonniers d’une fantaisie meurtrière. La guerre nous avait volé l’espoir. Elle nous avait pris William. Je serrais les poings autour de la lanière de mon sac. Mes pas s’enchaussaient dans le trottoir. Je passais devant l’arrêt du bus sans ralentir la cadence. Le froid s’engouffrait dans mes pensées, paralysant les souvenirs. Ma vision était obscurcie, suspendue devant l’image d’un adieu forcée. J’ouvris les lèvres sans parler, inhalant simplement les pollutions de la rue. Puis je l’aperçus. Un dos prostré dans le vide. Des paumes qui couvraient des cils fermés. Elle était trempée, presque nue. Je m’approchais afin de déposer ma veste sur ses épaules. Un simple raclement de gorge suffisait à annoncer ma présence. Je ne voulais pas l’extirper de son agonie, ni imposer mes chagrins sur les siens. Doucement, je me penchais afin d’inspecter son expression. « Vous allez bien ? » Murmurai-je d’une voix mélodieuse. Je plissais le front sans bouger, guettant une réaction de l’inconnue - espérant que mon aide serait bien venue. Je n’étais pas familière de ce quartier. Je m’y rendais uniquement pour rendre visite à Jacob, afin de solliciter ses conseils et sa compagnie. « Vous voulez que j’appelle quelqu’un ? » M’enquis-je en prenant place à ses côtés. Les vapeurs de l’alcool ondulaient sur mon visage, trahissant son ivresse et ce qui semblait être la conséquence d’une soirée trop arrosée.

Les lampadaires illuminaient la chaussée. Mes prunelles glissaient sur rebords humides, furetant autour de l’espace afin de capturer un faisceau de lumière. La silhouette accroupie sur le trottoir foisonnaient entre mes paupières. Elle semblait fragile, perdue dans ses émotions. Ma main effleurait son épaule alors qu’elle tanguait dans ma direction. Une aide que je proposais volontiers, sans me douter des connexions. Sans réaliser que son Jacob et le mien s’opposaient dans un prisme de couleurs étranges. Sa voix murmurait dans le silence de la rue. Je soupirais en lui adressant un sourire. Les vapeurs de l’alcool embaumaient son haleine et ses vêtements froissés. Probablement, une mauvaise soirée. Une cuite qui avait mal tourné. Je m’inquiétais. Mais je ne posais pas la question. Mes doigts glissaient sur le clavier de son téléphone. Les noms défilaient dans le répertoire et je déchiffrais les numéros. C’était bien lui. Le sauveur de ces gentes dames. Le regard avenant, l’esprit rassurant. Il exhalait ce charme fou, cette tendresse dans les gestes et les paroles. Ma gorge se serrait brusquement. Un peu de jalousie. Ou simplement, de la tristesse. Parce que je n’avais plus cette place privilégiée. Je n’étais qu’une ombre dans son passé. Une chimère qui s’amenuisait dans ses souvenirs, ses pensées. Je n’osais pas l’appeler au secours. Je n’osais pas lui confier mes peurs et mes sentiments. William était revenu et mon coeur saignait à nouveau. Le manque enserrait mes bronches et pressait mes poumons. Je ne respirais plus. Je n’avançais pas. Un soupir s’échappait de mes lèvres alors que la tonalité retentissait. Il ne répondait pas. Et cela me réjouissait. Egoïstement, je voulais le garder. Je voulais le retenir dans nos tortures sempiternelles. «Ne vous inquiétez pas. Jacob Ryder ? C’est bien ça ? » J’acquiesçais en rangeant l’appareil. « C’est un … ami. Je peux vous conduire chez lui et … partir…  » M’en aller. Disparaitre. Ne plus déranger. Ne pas hanter les murs de cet appartement témoin de nos étreintes lascives. Je me redressais en lui tendant la main, l’invitant à me rejoindre dans l’allée assombrie. Ensemble, nous pourrions marcher. Elle pouvait poser la tête sur mon épaule et oublier, un instant, les ratures sur son âme.